Je vous ai parlé plusieurs fois ici de l'approche de la lecture proposé par Jacques Delacour. Une approche d'une grande efficacité et dont le postulat, qui peut paraître étonnant, est en réalité d'une logique implacable : pour apprendre à lire, on doit commencer par écrire. Pour apprendre à décoder, on commence par coder.

Photo de Ryutaro Tsukata provenant de Pexels

La “méthode” écrilu est gratuite. Et elle s'accompagne d'une série de logiciels, gratuits eux aussi, à utiliser en classe. J'ai interrogé Jacques à propos de ces logiciels et il a eu la gentillesse de répondre à mes questions. Vous allez tout savoir.

Si vous tombez ici un peu par hasard et que vous n'avez jamais entendu parler de Jacques Delacour (un grand pédagogue malheureusement trop peu connu), je vous suggère de lire les articles suivants que j'ai publiés au sujet de son approche baptisée Écrilu :

Ecrilu, apprendre à lire en codant-décodant

La pédagogie du codage

Apprendre à écrire pour apprendre à lire

Et bien entendu, visitez le site Écrilu mis en place par son auteur en cliquant ici.

Ècrilu n'est pas un produit marketing proposé par un grand éditeur à grand renfort d'images colorées créées par des graphistes professionnels.

Écrilu n'est pas une méthode de lecture globale.

Écrilu n'est pas une méthode de lecture basée sur une approche syllabique.

Écrilu n'est pas une méthode hybride entre “global” et “syllabique”.

Ècrilu propose une approche basée sur une évidence oubliée : on lit ce qui est écrit. La lecture vient après l'écriture. Et donc on apprend facilement à lire ce qu'on a commencé par écrire.

J'ai été intrigué par cette approche, puis je m'y suis intéressé sérieusement, et j'ai fini par la mettre en oeuvre dans ma classe de CP, l'année ayant précédé ma retraite.

Les résultats étaient étonnants. Les yeux des élèves brillaient lorsque je sortais l'écritoire (une grande planche de contreplaqué pouvant être remplacée par un TNI, si vous en avez un dans votre classe).

Pour reprendre un exemple dont je vous ai déjà parlé, ils comprenaient instantanément que dans les mots “Mauve”, “Taon”, “Football”, “Main”, “Rayer”, par exemple, “a” ne se lit pas “a”. Et ils lisaient “Mauve”, “Taon”, “Football”, “Main”, “Rayer”.

Les logiciels

J'ai découvert plus tard que Jacques Delacour avait également mis au point des logiciels venant compléter son approche

Il m'a aimablement fait parvenir une clé USB… Et je n'ai pas pu la lire, n'étant plus équipé de matériel Windows. Désolé !

J'ai néanmoins pu constater que ces logiciels étaient nombreux.

J'ai demandé à Jacques s'il était d'accord pour nous dire quelques mots à leur propos, il a gentiment accepté, et voici le contenu de ce petit échange.

Mais tout d'abord, je voudrais vous dire ceci : si cette approche vous intéresse, plongez-vous dans la documentation, lisez attentivement tout ce que vous pouvez à son propos, et IMPLIQUEZ-VOUS. Encore une fois, il ne s'agit pas d'un produit marketing. Son approche peut paraître un peu austère, vous devrez faire quelques efforts, et sachez qu'ils seront réellement récompensés. Pensez-y dès aujourd'hui pour la prochaine rentrée !

Rencontre avec Jacques Delacour

 

Bonjour Jacques, merci de répondre à quelques questions concernant vos logiciels, les lecteurs de Tilékol vont apprécier. Comment vous est venue l'idée de créer ces logiciels ?

Le travail en classe est une amorce de l'apprentissage. Chacun sait qu'il faut du temps et de nombreux exercices pour finir par dominer l'apprentissage de l'écrit.

Si le codage de l'oral en écrit est bien mis en place, il faut ensuite apprendre à lire ce qu'on a écrit. Tout comme lorsque l'enfant a compris les paroles (même imparfaitement), il a dû s'essayer à parler, de mieux en mieux.

Le temps de classe ne permet pas toujours à chacun de trouver chaussure à son pied en apprentissage : aller à son rythme, profiter de ses erreurs sans être jamais puni, s'appliquer le temps nécessaire, trouver les encouragements nécessaires, etc.

Les logiciels apportent à l'élève des champs d'exercices qui l'obligent à comprendre le fonctionnement du codage et de la lecture, en gagnant en assurance.

J'ajoute, compte tenu de la programmation, et c'est loin d'être négligeable, de permettre à l'élève d'être en contact permanent avec le vrai travail, à ne pas être distrait par une animation qui camoufle l'essentiel. Il a su apprendre à parler en s'imposant des gammes, il va apprendre à coder et lire de la même façon.

Est-ce- que vous les avez construits techniquement vous-même ?

On pourrait croire que c'est l'informatique qui est au centre de ce travail.

L'informatique est au service d'une connaissance de la manière dont l'enfant apprend d'une part et de la structure du fonctionnement de la communication, orale ou écrite d'autre part.

Pour la partie technique j'ai eu la chance de commencer avec la naissance des micro-ordinateurs (64 KO de mémoire!) et de gravir progressivement, comme dans tout apprentissage, les marches du savoir minimum. De plus le logiciel ‘Visual Basic” est d'une extrême facilité d'emploi.

Mais c'est surtout dans la progression des exercices, le choix des mots (français fondamental, le dico des tout petits, etc.) et le respect du cheminement enfantin que les vrais problèmes ont dû être résolus. Par exemple : faut-il faire écrire et lire rhume et rhum dès la seconde leçon de codage du sens ? Faut-il donner à lire des mots au sens inconnu ? Quelle place accorder aux procédures orales de formation des mots (mare, rame, arme ; su, sur, suis, suite, ensuite, etc.).

Chaque logiciel représente des dizaines d'heures de travail, parfois des centaines, comme “écrilire”. Et vous pouvez le constater, il n'y a pas de fioritures détournant l'attention, mais chaque fois une évaluation positive qui encourage l'élève et le conforte dans son espoir de réussite.

Ils sont nombreux, pourquoi une telle variété ?

Beaucoup croient encore en un décodage possible. Or, si vous analysez un texte, vous vous apercevez que ce qui est stable, c'est le codage, alors que le décodage est instable. Le son /a/ se code avec “a” dans 98% des cas, alors que la lettre “a” se décode de 12 manières différentes…

Professant l'inverse de ce qui se fait actuellement, je n'ai eu aucun écho institutionnel favorable, ni à l'édition, malgré le succès incontesté de la procédure.

Les logiciels sont donc venus calmer mon désespoir face à cette surdité des “savants”. Comme cela fait plus de trente ans que j'attends, les logiciels se sont accumulés! Je me disais qu'ils pourraient bien être utilisés un jour ou repris et améliorés par d'autres programmeurs lorsqu'on reconnaîtra l'importance du codage préliminaire indispensable à toute lecture.

Ils répondent tous au moins à un des objectifs à atteindre, même si l'un d'eux, “écrilire” permet de coder en touchant tous les secteurs d'apprentissage, d'écrire orthographiquement, de reconnaître et de lire, chaque séquence accompagnant la présentation d'un nouveau phonème.

Comment en préconisez-vous l'utilisation en classe ?

L'essentiel du travail d'apprentissage se fait en classe, les logiciels sont un appoint important pour les élèves lents en particulier.

Aux professeurs de choisir ceux qui conviennent (consulter les lisez-moi). Et d'assurer collectivement leur introduction.

Il est recommandé de choisir et fournir les logiciels aux parents pour que les enfants puissent travailler seuls à la maison (demander aux parents de ne pas intervenir en dehors des problèmes techniques).

Un lancement collectif en classe est indispensable. Comme tout ce qui est inconnu, l'écran d'accueil peut être apparemment compliqué. Mais quand on a compris les manœuvres simples à exécuter, tout devient facile et lumineux.

Pouvez-vous me décrire le fonctionnement d'un ou deux d'entre-eux ?

Le plus complet, “écrilire” accompagne la progression, permettant à l'élève de coder : partir du sens (il entend une phrase), coder les phonèmes orthographiquement (il voit les mots en bicolore), de lire les mots écrits, et de les reconnaître dans une liste. Voyez le résultat ci-dessous lors de l'étude du 7ème phonème /t/.

12 mots, de plus en plus difficiles à coder en allant de gauche à droite et de haut en bas. La souplesse est là : on peut choisir et pointer n'importe quel mot.

Les mots à lire se présentent après avoir reconnu et pointé le mot codé au sein des douze.

On peut revenir au tableau d'entrée et choisir un phonème à réviser, ou un phonème encore inconnu, pour voir si on y arrive seul.

On peut travailler en noir et blanc et même écrire les mots au clavier.

Pour aider l'œil à lire (et pas à décoder), il faut lui proposer de reconnaître plusieurs fois de suite chaque mot au sein d'une constellation de mots. Ce “coup d'œil” appris se propagera ensuite sur chaque mot lu, installant la reconnaissance. C'est le logiciel “reconnaissance”. On peut faire varier la taille des caractères, une évaluation apparaît après chacun des trois essais.

Peuvent-ils être utilisés par des enseignants qui ne pratiquent pas la méthode “écrilu” ?

Il y a un processus “écrilu”, mais pas de méthode, “écrilu” est une aide à l'apprentissage de l'écriture des mots, ce qui ouvre la porte à la lecture.

Les décodeurs font décoder sur la foi d'un codage alphabétique. On apprend par exemple, en lisant des mots, que “u” se décode /u/. Or c'est /u/ prononcé qui se code “u”. Et cela change tout pour l'apprenant. Il comprend comment fonctionne notre écrit. Il se rend compte rapidement en codant /mur, rhum, qui, poule, brun, chapeau/ que “u” ne se décode qu'en fonction du codage effectué.

Je conseillerais donc à ceux dont qui utilisent encore le décodage d'utiliser le système “batimots” qui permet à l'élève de constater la différence entre codage et décodage, car seul le codage assure la lecture.

Le logiciel “batimots” permet de coder des mots à partir de l'oral en utilisant exclusivement les phonèmes d'un mot origine, comme on peut le voir ci-dessous :

On ne pourra pas coder rot alors que toutes les lettres sont présentes… Pas d'erreur possible et le logiciel fournit les écritures des différents sens, donnant à voir l'importance du codage du sens avec des codes toujours orthographiques et pas spécialement alphabétiques. En relisant il faut reconnaître, et surtout pas chercher à décoder.

Tous les logiciels sont exploitables par les élèves, mais c'est au maître d'en décider, lui seul connaît les apprentissages à consolider ou installer.

Font-ils l'objet d'une progression dans leur utilisation ?

La progression de l'apprentissage des conditions requises pour écrire et lire se fait à chaque introduction d'un nouveau phonème. Ce n'est donc pas tant la mémorisation d'une écriture-lecture de quelques mots qui est visée, mais l'utilisation de procédures communes à l'acquisition de chaque nouveau phonème/graphie.

Aussi, tous les mots utilisés sont codables et lisibles à chaque étape en fonction des connaissances acquises.

Si ce n'est pas le cas, c'est une erreur humaine très rare. Pas besoin de vérifier avec un logiciel, les textes eux-mêmes ainsi que les tableaux répondent à cette injonction : priorité aux systèmes à mettre en place plus qu'au codage ou décodage à mémoriser. Les mots sont choisis pour qu'à chaque étape tous les phonèmes déjà étudiés soient présents, donc révisés.

Ce qui explique l'augmentation de la réussite, plus on avance dans le temps, plus on apprend, moins c'est difficile de coder et de lire ! (j'ai des statistiques). Comme pour la conquête de la parole, plus on peut prononcer de mots, plus cela devient facile.

Comment se les procurer ?

On aura compris que l'important est d'inverser le processus actuel, commencer par apprendre à écrire les mots en vue de mettre en place leur reconnaissance, la lecture.

On peut se procurer les logiciels, en passant par le contact du site “ecrilu”. Cela vous coûtera ou à votre coopérative le prix d'une clé USB, et de quelques timbres, mais il faut disposer d'un PC avec Windows. Ce qui est certain c'est que vous n'aurez aucun regret.

Les mêmes travaux de découvertes sont possibles et présents pour papier-crayon sur la clé.

Joyeuse découverte et merci de m'en parler !

-Merci infiniment Jacques !