Savez-vous que la lettre “a” ne se lit “a” que dans moins de 50% des cas ? Dans les mots “Mauve”, “Taon”, “Football”, “Main”, “Rayer”, par exemple, “a” ne se lit pas “a”. Et je ne parle que du “a”, bien entendu, les beaux mots de notre belle langue ne sont pas faciles à décoder pour les élèves.
Sauf.. Si avant de les décoder, ils les ont eux-mêmes codés ! Aujourd'hui, c'est Monsieur Jacques Delacour, créateur de la méthode “écrilu”, qui est notre invité. Vous allez adorer.
Il y a quatre ans (déjà !), je vous proposais de partir à la découverte d'une approche de l'apprentissage de la lecture que je trouve remarquable.
Ce n'est pas un produit commercial, mais le fruit de l'expérience, de la sagacité et du talent d'un homme, Jacques Delacour, à la retraite depuis de nombreuses années mais qui continue inlassablement de partager via son site web sa méthode, fondée sur le codage-décodage par les élèves eux-mêmes des mots, du plus simple au plus complexe, mettant en action toutes les correspondances phonèmes-graphèmes possibles.
Il s'agit là d'une pédagogie rigoureuse mais simple à comprendre, et que je n'hésiterais pas à qualifier d'irréfutable. (Oh, je prends un risque en disant ça, mais je l'assume !).
Il y a quelques semaines, Jacques Delacour m'a fait parvenir un courriel, avec un texte joint que je me fais un plaisir de vous proposer aujourd'hui.
Il s'agit d'une petite merveille de texte pédagogique, accessible, rigoureux et concret.
Il commence par un mot bizarre, étrange, que vous n'avez jamais vu et que vous aurez du mal à lire. Exactement comme vos élèves qui découvrent pour la première fois “printemps” ou “monsieur”.
Saurez-vous le lire sans aide ?
Monsieur Delacour, vous avez la parole :
Apprendre à lire… Pourquoi faire simple quand on peut tout compliquer ?
Que faut-il savoir pour lire les mots en général, et ce mot-ci en particulier ?
1-Le nombre de graphies composant ce mot codant les phonèmes (encore inconnu à ce stade). On constatera rapidement que le nombre de lettres n'a rien à voir avec le nombre de phonèmes représentés. Le code n'est donc pas purement alphabétique (une lettre et une seule pour un son et réciproquement).
2- La composition littérale de ces graphies (les lettres ou groupe de lettres représentant un phonème codant un seul phonème, encore inconnu…)
Vous ne trouvez pas ? Solution en cliquant ici
3- Les correspondances grapho phonétique des empans retenus conduisant à l'oralité du mot, puis à son sens lorsque ce sens est déjà connu. Cette correspondance arbitraire est établie au moment du codage initial du mot.
Dans : “il y a eu le feu dans notre demeure”, seul le codage initial impose et fournit les valeurs sonores de “eu“.
Notre système de communication écrite fonctionne comme une porte qui ne s'ouvre que d'un côté. Ce n'est pas une porte à double charnière permettant de la pousser dans un sens ou l'autre (système alphabétique pur). On peut l'ouvrir, commencer par coder /feu/, ou /eu/ de feu s'écrit “eu”, donc “feu” se lit /feu/. Mais on ne peut pas la pousser dans l'autre sens : “eu” ne se décode pas forcément /eu/. Et c'est le cas de presque toutes les graphies visibles : il faut avoir commencé par coder le sens pour pouvoir leur attribuer un son à la lecture. Ce qui explique qu'on reconnaît plus vite les mots qu'on ne les décode lorsqu'on sait lire.
Le code orthographique interdit de s'appuyer sur une régularité de décodage grapho phonétique.
- En voyant ma qu'on apprend encore à décoder /ma/, comment décoder manger, mauvais, maigre, maintenant ? les décodeurs répondent en apprenant que man se décode /man/, que mai se décode /mai/. Man comme dans manège, mai comme dans fermai ou demain répondent les élèves ?
- o se décode /o/ ? Pas si simple : comprendre, couper, coincer, quoi, monsieur, œufs…
- Poussée à l'extrême, la croyance en un décodage possible sans codage préalable entraîne, même le Ministère, à faire décoder mécaniquement des suites de lettres n'ayant aucun sens !
Page 67 du petit livre orange du Ministère on propose d'apprendre à décoder “iso”. Je suppose /izo/ ?
Iso ? Le sens, la raison même de la lecture, est totalement absent.
En recherchant “iso” ** dans le corpus de ce manuel que découvre-t-on ?
12 isolé(e.es) ; 2 épisodes ; 1 isolement soit 15 décodages conformes à l'enseigné-attendu /iso/.
Mais on relève aussi dans le document 4 décodages différents de /izo/ : 7 raison ; 2 liaison ; 4 terminaison ; 5 comparaison ; 6 raisonnement ; 4 conjugaison, 1 maisonnette ; 10 combinaison ; 2 raisonnable ; 1 déraisonnable ; 1 dérisoires ; 1 lisons ; 2 liaisons, au total 46 décodages non conformes, soit 46/61 donc 75% de décodages différents du supposé majoritaire /izo/! (Qu'on retrouve dans rhizome…!)
Si on a codé 7 fois /raison/ avec raison, on voit bien que raison se lit /raison/ ; iso ne se décode pas /iso/ mais 7 fois /aison/. Mais si on code /aiso/ de raisonnable on décode /aiso/ 10 fois (raisonnement, maisonnette, déraisonnable) tout en voyant “aison” se décodant aussi /èzon/… !
L'élève décodant doit apprendre tout un système à tiroir où tout décodage sonore appris est remis en question à chaque nouveau mot dont il peine à retrouver le sens. Ça lui paraît bien difficile à comprendre et à retenir. Heureusement il finira par reconnaître le mot globalement et par lire dans le meilleur des cas (80 % des élèves environ). Mais cela n'arrangera pas l'orthographe qui sera “fauxnétique” et retardera son apprentissage. Les mêmes décodeurs, faisant fi du codage, se plaindront de l'orthographe des élèves en primaire…!
Il n'existe aucun code stable de lecture sonore des lettres ou graphies, uniquement un code orthographique d'écriture du sens. Si on écrit /pompier/ avec “pompier”, ce mot se lit dans 100% des cas /pompier/.
Ce qui donne vie à un écrit, ce n'est pas sa lecture, c'est son codage initial.
Si vous commencez par coder orthographiquement les sens /fer, faire, atmosphère, coiffer, femme/, alors vous disposez pour relire ces mots de tous les ingrédients nécessaires : le nombre de phonèmes, les graphèmes utilisés, et leur valeur sonore dépendant du sens, quel que soit le codage orthographique utilisé. Venant de les écrire, vous n'aurez aucune difficulté à les lire. Et vous aurez accès immédiatement au sens du mot en le reconnaissant moyennant quelques exercices de discrimination visuelle.
C'est sur ce constat que je propose de commencer par apprendre à coder les mots, changer les phonèmes en graphèmes orthographiques, écrire manuellement le mot et apprendre à le reconnaître d'un coup d'œil. Tout est mémorisé simultanément, le sens, les gestes de pointage et d'écriture, les correspondances phonographiques engendrant les CGP correctes. Cela permet une lecture donnant toujours accès au sens et pas seulement à d'hypothétiques sons. Si on écrit /lontan/ avec longtemps on part du sens, on code (l-ong-t-emps) puis on lit ce mot : /longtemps/. (On peut aider la lecture en utilisant une écriture bicolore…)
Tous les progrès humains sont inscrits dans une histoire, une genèse, y compris notre gestation de 9 mois reproduisant les stades de l'évolution de notre espèce. Avant la lecture, il y a nécessairement l'écriture et c'est uniquement cette dernière qui fournit toutes les clés de la lecture. Pas l'inverse, jamais en français! Commencer par décoder est un crime génétique dont on constate les conséquences. S'obstiner à faire décoder est une erreur pédagogique dont certains élèves paient le prix.
Ce n'est pas de manuel de lecture dont on a besoin, mais d'un système offrant la possibilité de coder les mots. Vous trouverez cela sur le site ecrilu. Vous pourrez recevoir encore gratuitement les fiches de travail et les logiciels soutenant la démarche : parler, coder, écrire, lire ce qu'on a codé, reconnaître les mots. Vous pourrez par la suite créer votre propre progression, en particulier avec la procédure “batimots”.
Avant l'apparition des méthodes de lecture, voire des alphabets, tous les élèves commençaient par écrire pour apprendre à lire. Sur Gallica vous trouvez pléthore de méthodes imprimées, aucune méthode manuscrite…
(L'exploitation commerciale du décodage impose de proposer un manuel, et explique tout autant que la surdité de nos “savants”, les refus polis des autorités à mes propositions. Un maître est responsable, ce n'est pas un exécuteur de semi-vérités.)
Avant Gutenberg, on savait que l'écriture (le codage des mots) conduisait à la lecture, l'énactait dirait Varela.
Votre défi : parvenir à faire lire tous vos élèves de CP, c'est possible si vous leur apprenez à coder l'oral en écrit pour avoir la possibilité de reconnaître les mots, de lire.
C'est aux enseignants de s'interroger et d'avoir le courage de remettre en question le décodage, comme l'ont fait de nombreux pédagogues avant moi, toujours trahis par les décodeurs. Schüler a compris qu'il fallait commencer par écrire, cela s'est traduit par une méthode de décodage Boscher…!
La lecture et l'écriture se tiennent et se complètent, ” comme les deux faces d'une médaille. Toutefois, si théoriquement, l'on suppose que l'une a précédé l'autre, c'est l'écriture qui a dû venir la première. On ne peut évidemment pas lire ce qui n'a pas été écrit. Ce que les hommes ont dû inventer, c'est donc l'écriture, le signe visible de la parole : la lecture s'ensuivait nécessairement. ” (Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson, 1887). Écrire et lire ne font pas partie du problème de l'œuf et de la poule. On sait historiquement quelle est l'origine.
Et les statistiques de codage (presque régulier, quelle chance) confirment sa simplicité et cette nécessité du respect de la genèse alphabétique : si vous devez écrire /a/ vous utilisez “a” dans 99% des cas (N. Catach). Malheureusement “a” sera utilisé aussi pour coder d'autres sons. Alors, si vous obéissez au décodage de “a” vous décodez /a/ dans moins de 50% des cas et vous ne savez pas décoder les 50 autres pourcents (main, mais, mauve, taon, speaker, football, rayer, équateur, ferai, août).
Et c'est le codage de ces mots qui va donner la bonne valeur sonore de ces “a” ne se décodant pas /a/.
Vous pourrez même décoder fort logiquement /en/ en voyant manutention et /ma/ en voyant manger! Après codage de tout mot, sa lecture est assurée, chaque phonème le composant ayant été représenté par un codage orthographique précis dont il faut garder mémoire pour lire, visualisable en bicolore après codage (manutention et manger).
Après codage, ce travail en zone proximale de développement, la lecture est certaine et sans hésitation dans 100% des cas. Des classes ont profité et profitent de la pédagogie du codage avec succès. Bientôt, si les collègues veulent bien donner sa place au codage, toutes les classes commenceront par créer les mots écrits et en 3 mois maximum chaque élève aura compris comment fonctionne notre système d'écriture.
Ayant appris à parler seul, il serait dommage qu'une pédagogie compliquée interdise à certains élèves d'apprendre à écrire donc à lire.
Jacques Delacour
C OM PR EN DRE
OU
CO MP RE ND RE ?
comprendre versus commerce, comprendre versus prenant…
Le site web de Jacques Delacour se trouve ici : https://apprendre-a-lire.pagesperso-orange.fr
Mon article datant de fin 2016 dans lequel je vous parlais d'Écrilu est ici : https://www.tilekol.org/ecrilu-apprendre-a-lire-en-codant-decodant
Je suis bien conscient que vous parler de cette méthode en janvier peut paraître un peu “décalé”, étant donné que les CP ont déjà démarré l'année depuis longtemps en utilisant un système choisi pour l'année.
Mais rien n'empêche de démarrer en parallèle un tableau de correspondances phonèmes-graphèmes (“l'écritoire”, voir sur le site écrilu) : il permettra certainement de provoquer des déclics et d'accélérer l'apprentissage de la lecture.
Quant aux maternelles (grande section), je me dis que la mise en place d'un premier tableau, très très simple (avec juste un graphème-phonème par case) pourrait être une expérience passionnante, pour les enseignants qui suivent leurs élèves en CP. Ils seraient préparés. A partir du moment où ils savent utiliser l'écritoire et la baguette pour coder/décoder le mot “moto” ou “papa”, par exemple, ils sont prêts pour la suite de l'aventure…
Certes, on peut le faire avec les Alphas, par exemple, mais passer de la manipulation de figurines à l'écritoire serait à mes yeux une “étape mentale” très importante.
Qu'en pensez-vous ?
Hé bien … le concept me parle ( je fais coder mes élèves dès la moyenne section pour ceux qui ont rapidement acquis les sons des premières lettres) mais la méthode pour l’instant … je ne comprends pas tout ! Je pense qu’il faut s’y plonger et lire plusieurs fois … à suivre !
Bonjour Michel, je comprends aussi le concept qui me parle, mais comme Claude, je n’ai pas tout compris. J’ai un peu de mal avec cet écritoire fastidieux pour des enfants si jeunes ! il y a certainement une subtilité que je n’ai pas captée ? … je me mets à la place de ces jeunes lecteurs qui voient toutes ces lettres les unes sous les autres … pfiou ! j’avoue que je préfère les dictées muettes qui tout en faisant travailler les sons, facilitent bien la mémorisation et l’orthographe des mots qui en favorisant le déplacement physique … après ce n’est que mon tout petit regard d’instit de CP. Merci pour le partage !
Hello Sésé
Je te suggère de visiter le site écrilu, tu vas mieux comprendre.
Comme je le dis dans l’article, j’avais mis en place l’écritoire dans ma classe de CP (j’étais directeur demi-déchargé) et les élèves ont tout de suite accroché, ils adoraient, vraiment.
En fait, ce n’est pas compliqué, c’est même très simple, le secret, c’est de partir d’un tableau vierge et de le construire, avec les élèves, au fur et à mesure que de nouveaux mots avec des graphèmes inconnus font leur apparition. Ils comprennent immédiatement son utilité !
C’est un plaisir de les voir lire en utilisant la baguette en passant d’un phonème-graphème à l’autre… Ce outil fonctionne réellement, j’en suis témoin. Ce qui ne m’empêchait pas d’utiliser en parallèle avec ma demi-décharge un livre et des cahiers d’exercices communs, d’une méthode syllabique du commerce, en plus de l’écritoire. L’un n’empêche pas l’autre.
Bonjour,
vous parlez d’adopter Ecrilu tout en ayant une méthode syllabique avec cahier d’exercices. Avez-vous des exemples de méthodes vraiment compatibles avec le principe. Ou qui tout au moins ne partent pas du graphème mais plutôt du phonème?
Merci
C’est l’adulte lecteur qui a peur devant l’écritoire. L’enfant, à qui on commence par faire coder un son, puis deux, puis trois, n’utilise que 3 colonnes sonores. Il a l’habitude de ce genre de travail, c’est celui qu’il a réalisé en apprenant à parler : commencer par reproduire un puis deux puis trois sons entendus et les combiner pour parvenir à émettre des suites temporelles de sons porteuses de sens.
L’écriture s’installe progressivement, tout comme on commence par poser la première pierre d’une maison ou faire le premier pas dans le but d’atteindre le Mont Blanc…
Finalement il est plus aisé d’ajouter une graphie à un son au sein d’un sens que d’apprendre à parler. Ce qui explique le succès des élèves et leur avidité à progresser.
Bonjour Michel. Il existe une méthode de lecture qui ressemble à celle de Jacques Delacour. Il s’agit de la lecture en couleur de Caleb Gattegno mise au point en 1957. Chaque phonème de la langue française à une couleur. Le”fidel”, réunit tous les phonèmes dans toutes les formes d’orthographe qui existe en français. Par exemple, le phonème [i] est rouge. Dans le Fidel, sont inscrits 35 façons d’obtenir le son [i]: i, hi, y, hy, ie, is, it,…. C’est l’association U.E.P.D (Une Éducation Pour Demain) qui organise des stages pour promouvoir cette méthode (ils font aussi un travail très intéressant avec les réglettes Cuisenaire). J’utilise cette méthode avec mes élèves de maternelle. Dans un premier temps, j’utilise des rectangles de couleurs ce qui permet aux enfants de prendre conscience que chaque rectangle est un son qui s’entend les uns derrière les autres dans le sens de lecture (il n’y a pas de lettres pour parasiter la “lecture”). Puis je remplace les rectangles par les phonèmes de la même couleur : on obtient des mots en couleur. L’enfant s’aperçoit rapidement que si la lettre “i” n’est pas rouge, c’est qu’elle ne fait pas le son [i]. J’utilise les Alphas en complément : Mme i habite une maison qui a une porte rouge. Si on appuie sur la “sonnette “, ça fait “iiii”. Je précise que les enfants adhèrent bien à ce mix de méthodes. Pour conclure, je te remercie beaucoup pour tous les articles et tout ce que tu partages sur Tilekol.
Bonjour Véro,
Effectivement, de prime abord, les deux méthodes se ressemblent.
J’aurais tendance à penser que Ècrilu a une approche pédagogique plus profonde : l’accent est mis sur le codage alors qu’avec Gattegno l’accent est mis sur la reconnaissance de couleurs et l’association à un phonème.
Je pense que la vitesse d’acquisition de la lecture est similaire dans les deux méthodes, mais que les sous-jacents conduisant par exemple à une meilleure maîtrise de l’orthographe sont mieux maîtrisés avec Ecrilu.
Il serait intéressant un jour de faire un comparatif un peu poussé entre les deux méthodes.
Quand aux Alphas, c’est excellent en grande section !
La méthode de Gattegno facilite le décodage en attribuant une couleur identique à tout ce qui se prononce de la même façon. On décode plus facilement des couleurs que des graphies. Martinet avec l’Alphonic avait la même démarche : permettre de décoder facilement (par exemple /ch/ était écrit “h”, un /chat/ était vu un “hat”. Ce sont deux pméthodes de lecture, partant du vu.
écrilu inverse la progression, c’est une méthode d’apprentissage de l’écriture orthographique. Elle part de l’entendu pour créer le mot. Ce que les découvreurs de l’écriture ont réalisé (ils ne pouvaient pas lire ce qui n’avait pas encore été écrit!). Après codage de l’oral, la lecture est assurée dans 100% des cas.