Voici le deuxième épisode de votre “feuilleton de l'été”. Nous allons rencontrer un ingénieur étonnant qui a donné son nom à une loi informatique, remonter le temps dans l'Inde antique et ses légendes, découvrir l'objet le plus complexe fabriqué sur Terre, nous retrouver en pleine science-fiction. Et nous aurons le vertige en contemplant une suite de zéros.

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Photo : Pexels
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Cela nous donnera les éléments nous permettant – peut-être – de répondre à une question saugrenue.

Vous venez d'arriver sur cette page ? Bienvenue ! Ceci est une publication en plusieurs parties, donc pour tout comprendre et être dans le contexte, n'oubliez pas de lire le premier article de la série ici :

Le feuilleton de l’été, première partie : Bryce KPT

Merci !


Souvenez-vous : dans l'article précédent, je vous expliquais qu'en 1994 j'avais été subjugué par un logiciel appelé Bryce KPT et qui générait des paysages virtuels.

Et je m'étais posé une question :

Mais alors, à quoi ressemblera Bryce KPT ou ses équivalents dans 50 ans ?
Dans 100 ans ?
Dans MILLE ANS ?

Pour m'aider à trouver la réponse, je m'étais penché à l'époque sur la “Loi de Moore”.

Mister Moore

Gordon Moore

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Gordon E. Moore (né en 1929 et décédé le 23 mars dernier) était un ingénieur informaticien, co-fondateur d'Intel, qui a édicté plusieurs “lois” successives au fil des années en les affinant, mais pour simplifier on les connait sous le nom de “Loi de Moore”.

Que dit cette loi ?

En simplifiant à l'extrême, elle dit tout simplement que la puissance des ordinateurs double tous les deux ans.

Tout un tas de facteurs entrent en jeu, comme le nombre de transistors que les industriels sont capables de placer sur les microprocesseurs, grâce à une finesse de gravure des microprocesseurs qui se perfectionne sans cesse.

En extrapolant au-delà de ce que ce bon Monsieur Moore avait prédit, de nombreux progrès techniques peuvent permettre aux ordinateurs d'être toujours plus puissants.

Cette histoire de doublement tous les deux ans m'avait fait penser à la légende indienne de l'échiquier et des grains de riz…

La légende de Sissa

Connaissez-vous cette légende ?

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La voici (j'ai fait un copier-coller de Wikipedia) :

“En Inde, le roi Belkib, qui s'ennuie à la cour, demande qu'on lui invente un jeu pour le distraire. Le sage Sissa invente alors un jeu d'échecs, ce qui ravit le roi. Pour remercier Sissa, le roi lui demande de choisir sa récompense, aussi fastueuse qu'elle puisse être. Sissa choisit de demander au roi de prendre le plateau du jeu et, sur la première case, poser un grain de riz, ensuite deux sur la deuxième, puis quatre sur la troisième, et ainsi de suite, en doublant à chaque fois le nombre de grains de riz que l’on met. Le roi et la cour sont amusés par la modestie de cette demande. Mais lorsqu'on la met en œuvre, on s'aperçoit qu'il n'y a pas assez de grains de riz dans tout le royaume pour la satisfaire”.

Il n'y a pas assez de grains de riz, et pour cause :

“Si l'on se base sur la production annuelle de riz (479 millions de tonnes de riz usiné en 2014 ), il faudrait un peu moins de 1 500 ans pour réunir tous les grains de riz nécessaires à la réalisation de ce problème (à raison de 0,04 g par grain de riz)…”

Un échiquier, 64 cases, on double les grains de riz 63 fois et obtient 1500 fois la production mondiale de riz !

C'est l'illustration ahurissante des effets d'une croissance exponentielle.

Précisément ce que la loi de Moore décrit.

Mais alors, est-ce que pour l'instant la loi s'est vérifiée ?

Est-ce que nos ordinateurs, année après année, voient leur puissance exploser ?

C'est encore plus fou que ça.

Moore avait raison, mais…

Pour l'instant, la loi de Moore se vérifie.

La quantité de transistors présents sur les puces électroniques a effectivement doublé tous les deux ans.

Voici un graphique qui le montre :

Mais comment peut-on multiplier ainsi le nombre de transistors sur une puce ?

Grâce à la “finesse de gravure” des microprocesseurs.

Etant donné que les microprocesseurs sont les produits les plus complexes produits par les humains, ne comptez pas sur moi pour vous expliquer en détail le processus de fabrication (mais vous pouvez trouver ici votre bonheur)…

Sachez simplement que plus la gravure est fine, plus on insère de transistors (qui sont des minuscules portes qui s'ouvrent ou se ferment) ET plus le traitement de l'information est rapide.

Mais alors, me direz-vous, on ne peut quand même pas miniaturiser ces puces à l'infini, on va bien finir par ne pas pouvoir faire plus petit ?

Exactement.

Le “mur”

On va finir par atteindre un mur, le mur de la finesse.

Actuellement, les puces les plus perfectionnées créées par l'incroyable leader mondial dans le domaines basé à Taiwan, TSMC, qui équipe notamment les ordinateurs d'Apple, sont gravées avec une finesse de 3 nanomètres.

Ça ne vous dit rien ?

Moi non plus, avant que je ne fasse quelques recherches pour préparer cet article.

Un nanomètre mesure 0,000001 millimètres.

C'est-à-dire trois ATOMES placés côte à côte.

(Ça me paraît tellement fou que j'espère que je ne me trompe pas en vous racontant tout ça ! Mais j'ai vérifié et re-vérifié ces informations, a priori elles sont exactes).

Et TSMC prévoit la gravure à 2 nanomètres pour 2025 !

Il est évident qu'on ne peut pas continuer ainsi à l'infini.

C'est ce que les spécialistes appellent “le mur”. Ou “The Wall” en anglais, ça sonne mieux.

Mais la partie n'est pas perdue, loin de là.

D'une part, les industriels commencent à envisager la gravure en “3D”, qui consiste à faire des “immeubles de transistors”, permettant de multiplier leur nombre sur une surface donnée, multipliant d'autant la puissance des processeurs.

Et d'autre part…

Les ordinateurs quantiques

Là, je vous préviens, on est en pleine science-fiction, sauf que ce n'est pas de la fiction du tout.

Vous n'en avez peut-être pas encore entendu parler (c'est chose faite), mais l'ère des ordinateurs quantiques est arrivée.

Accrochez-vous à votre chaise, à votre canapé, à votre maillot de bain, ça va dépoter.

Comment vous expliquer ça, sachant que je ne suis pas scientifique…

Je respire un bon coup et je me lance. Tant pis si je raconte des bêtises.

Les ordinateurs quantiques ne ressemblent pas à votre bon vieux PC.

Ce sont des structures étranges, qui semblent venir d'une autre planète.

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Le coeur d'un ordinateur quantique – Image IBM

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Et ils existent réellement, depuis peu.

Quelle est la différence entre un ordinateur “traditionnel” et un ordinateur “quantique” ?

Un ordinateur traditionnel fonctionne avec des “bits”.

Un bit est une unité élémentaire d'information.

Difficile de faire plus simple : la valeur d'un bit est soit 0, soit 1.

Un ordinateur quantique fonctionne avec des “quantum bits” ou “qubits”.

La valeur d'un qubit est soit 0, soit 1, soit 0 ET 1 en même temps.

(Là aussi je simplifie à l'extrême, j'avoue que je n'ai pas tout compris.)

Cela démultiplie de manière gigantesque la puissance (théorique) des ordinateurs, puisqu'à chaque suite de qubits, l'arrivée d'un nouveau qubit amène une folle quantité d'information supplémentaire possible.

Résultat : un ordinateur quantique effectue en 3 minutes un calcul archi-complexe qui prendrait 10 000 ans à un ordinateur traditionnel !

Donc, même si la loi de Moore se heurte à un mur, elle pourrait très bien prendre une fusée pour le franchir !

Dans mille ans…

Reprenons donc la question qui a déclenché toute cette réflexion :

A quoi ressemblera Bryce KPT ou ses équivalents dans 1000 ans ?

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J'ai un copain matheux, je lui ai posé la question de l'écart de puissance des ordinateurs entre l'année 1994 et l'année 2994, si on considère que la loi de Moore continue son petit bonhomme de chemin.

Réponse :

3 273 390 607 896 140 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 de fois plus puissant qu'en 1994.

Ce qui est un écart absolument énorme, démesuré, gigantesque, colossal, ahurissant, il n'y a pas de mots pour le décrire !

A titre de comparaison, pour vous donner un ordre d'idée, le nombre TOTAL D'ATOMES DANS L'UNIVERS est le suivant :

1 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000

Récapitulons

Je vous rappelle que nous sommes dans une hypothèse. Pas dans la réalité.

Ces grands nombres sont probablement fantaisistes. Mais à ce niveau, une poignée de zéros de plus ou de moins ne change pas grand-chose… Même si on enlève 100 zéros au résultat de la loi de Moore après 1000 ans, on reste dans des quantités qui nous dépassent complètement.

Néanmoins, on peut penser que dans un avenir lointain (ou proche, pourquoi pas, tout est possible en matière de saut technologique, comme nous l'avons vu avec les ordinateurs quantiques), les ordinateurs seront des milliards de milliards de fois plus performants qu'aujourd'hui.

Et donc, une fois de plus, je repose la question :

“A quoi ressemblera Bryce KPT ou ses équivalents dans 100 ans ? Dans 1000 ans ?”

Je proposerai une réponse dans le prochain épisode.

Et ce sera le début de la partie la plus intéressante de cette enquête.

Croyez-moi, vous n'avez encore rien vu.


Vous êtes un scientifique et vous avez relevé des énormités dans cet article ?

N'hésitez pas à les corriger en commentaires et à apporter des précisions utiles, mais ne perdez pas de vue le sujet de cet article qui est de répondre à une question complètement théorique, “pour voir où elle nous mène”, et non pas de faire une leçon de maths ou de physique…


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