Les rythmes nous entourent de toutes parts, que ce soit dans le vaste univers ou à l’intérieur de notre propre corps. Prendre conscience de leur existence permet de donner le tempo à notre propre vie, alternant dépense et recharge d’énergie, de manière à gagner en efficacité sans se fatiguer outre mesure. Transformons un marathon en une série de sprints !
Un rythme, c’est une pulsation, une alternance.
Le contraire d’un rythme s’appelle linéarité.
Dans le monde qui nous entoure, les rythmes sont partout :
- Alternance du jour et de la nuit
- Rythme des marées
- Rythme des vagues
- Rythme des saisons
- Hibernation des animaux, migrations des oiseaux, des poissons, des baleines…
- etc…
Et au sein même de notre corps, les rythmes sont nombreux :
- Battements du coeur, bien sûr
- Respiration
- Températures qui changent selon le moment de la journée
- Niveaux d’hormones qui varient
- Cycles du sommeil
- Etc…
La vie, c’est le rythme, et le rythme, c’est la vie.
Pourquoi ? Parce que pour que l’énergie puisse être dépensée correctement, elle doit être régénérée, rechargée. Souvent, un temps très bref suffit, encore faut-il lui donner sa place.
Le contraire du rythme s’appelle linéarité.
La linéarité n’est pas vraiment un état naturel de la vie.
Un beau jour notre électrocardiogramme deviendra linéaire, et ce jour-là nous serons morts.
Si nous dépensons de l’énergie de manière constante sans jamais la recharger, nous passons par les phases d’économie, puis d’épuisement, puis la machine s’arrête.
Dans un récent article, je vous parlais des rituels des champions de tennis leur permettant d’effectuer des micro-recharges d’énergie entre deux services.
Le sport linéaire le plus connu est probablement le marathon.
Courir 42,195 kilomètres sans s’arrêter demande à l’organisme une grande dépense d’énergie. Donc, le marathonien s’entraine à en dépenser le moins possible. A s’économiser. A tenir coûte que coûte.
Marathonien ou sprinter ?
Les muscles sont de grands « dépensiers en énergie ». Donc, il perd du muscle. Il s’allège de l’inutile, ne gardant que la peau, les os et le minimum musculaire nécessaire pour pouvoir avancer.
Les coureurs de fond sont de grands sportifs, ils ont une volonté incroyable. Ils s’entraînent durement, ils souffrent, ils endurent.
Toutes ces souffances sont la conséquence de la linéarité.
Le sprinter, lui, est exactement l’inverse du marathonien. Il a 100 mètres à courir le plus vite possible, il a donc besoin de dépenser un maximum d’énergie en un minimum de temps.
Tout son corps est musclé, tonique. Il fonce pendant 10 secondes, puis il laisse éclater sa joie, il saute, il fait des bonds, il a tout donné, il se repose…
Voulez-vous mener votre vie comme un marathonien ou bien comme un sprinter ?
Dans notre vie de tous les jours, si nous voulons être efficaces, nous devons trouver un rythme, une alternance, et admettre que l’efficacité est à ce prix.
Si nous partons bille en tête dans un projet sans prendre le moindre repos, nous allons nous écraser lamentablement, ou bien nous essaierons de courir un marathon, nous allons nous économiser, nous fatiguer, nous épuiser, souffrir, et avoir de médiocres performances.
Si nous privilégions la quantité par rapport à la qualité, nous n’irons pas bien loin.
Il y a quelques années, j’avais lu un compte-rendu d’expérience effectuée dans une entreprise américaine, où les employés passaient leur journée à transporter des charges lourdes.
L’habitude installée consistait à effectuer des séances de travail non-stop.
Un jour, un “original” est allé voir le patron et lui a demandé de tester une nouvelle manière de travailler. Elle consistait à OBLIGER chaque travailleur à s’assoir quelques secondes entre deux chargements.
Le résultat a été bien visible à la fin de la journée : les ouvriers étaient moins fatigués ET un volume plus important de marchandise avait été transporté.
D’ailleurs, en discutant de cette expérience avec mon propre frère qui court des marathons, j’ai appris que ce fonctionnement est également recommandé par certains entraîneurs : courir, se reposer, courir, se reposer, etc… cela introduit dans la course un rythme qui n’existait pas avant…
Que conclure de tout ceci ?
- Que l’efficacité dépend de la dépense d’énergie, et que la recharge d’énergie permet des dépenses plus intenses.
- Que c’est l’intensité qui produit la performance.
- Qu’il ne faut pas attendre la fatigue pour se reposer.
- Qu’il est normal de ne pas avoir envie de faire certaines choses à certains moments.
- Que la qualité de l’engagement à accomplir une tâche est plus importante que le temps passé.
…Et dans nos classes ?
(Je m’adresse bien entendu aux lecteurs enseignants)
Je ne suis pas là pour vous délivrer la vérité absolue. Voici simplement quelques suggestions, étayées par tout ce qui précède.
- Créons des moments brefs et intenses où nos élèves vont être totalement engagés dans l’apprentissage. C’est durant ces moments-là qu’ils vont apprendre.
- Alternons ces moments avec des mini-repos systématiques.
- Ne considérons pas les récréations comme du temps inutile, ni pour les enfants, ni pour nous-mêmes.
- Choisissons soigneusement les activités que nous allons placer en début de matinée, après les séances de sport, et même après les siestes, en maternelle. J’ai par exemple remarqué que mes « grandes sections » étaient très réceptifs à l’apprentissage de l’écriture en début d'après-midi : à ce moment-là, ils sont calmes, reposés, ils se concentrent facilement, et ils prennent du plaisir à écrire. C'est un moment fort de la journée.
- Pratiquons l’enthousiasme sans modération.
- Soyons pleinement conscients des moments où nous allons tous nous focaliser, enseignants et enfants. Expliquons-leur ce que nous allons faire, pendant combien de temps et pour quelle raison. Ils comprennent très bien !
L'intensité de l'engagement est la clé de la réussite.
Il est impossible d'être pleinement engagé sur une longue durée.
Et le débat sur les rythmes scolaires ?
Je vous laisse juge.
Analysez le déroulement actuel de la journée, de la semaine, de l’année scolaire. Voyez les jours où vos élèves sont le plus disponibles et les jours où ils paraissent hermétiques .
Ne pensez pas uniquement aux apprentissages scolaires, mais plus globalement à tous les petits ou grands rythmes de la vie : les temps “sociaux”, indispensables, les temps familiaux, les activités diverses, le temps de sommeil, et voyez si une amélioration se dessine dans une nouvelle donne.
Tirez-en vos propres conclusions… Faites-vous votre propre opinion, n'écoutez pas ceux qui sont “pour” ou “contre” par principe… Dites-vous que dans tous les cas, VOUS pourrez agir, au moins au niveau de déroulement de votre propre journée scolaire et de ses contenus, pour imprimer VOTRE rythme.
Lorsqu'on avance des vérités, il faut pouvoir les prouver.
Mercredi prochain, je vous proposerai des petits “travaux pratiques”. Je vous montrerai comment mettre en oeuvre un petit rythme très simple, et vous constaterez vous-mêmes le gain en efficacité qu'il va vous procurer. Je suis serein quant au résultat !
Je suis bien consciente de tout cela et l’article d’aujourd’hui met en mots des choses que l’on ressent souvent intuitivement… pour moi le problème réside dans la résolution de l’équation : diversité des élèves ( donc de leur rythme de réalisation des tâches) + disponibilité des structures ( par exemple la salle de motricité) + rythmes imposés ( heures de récré… ) et j’avoue que trouver une alternance de rythmes avec tous ces facteurs me laisse comme un écrivain en panne d’inspiration devant une feuille blanche…
Bonjour Claude
Les éléments imposés sont des points d’appui.
Ce qui est important, vraiment, c’est de comprendre que les résultats s’obtiennent dans l’engagement réel. A nous de déterminer des moments stratégiques pour cet engagement et à leur faire correspondre des moments de récupération, qui n’ont pas besoin d’être longs, au contraire : trop longs, ils cassent… le rythme.
Pense à la méthode de récupération des champions de tennis : elle dure vingt secondes ! Mais elle existe et elle est la clé de leur victoire.
Heure de récréation de plus en plus réduites en maternelle. Les enfants de grande section non stop en activité sous prétexte qu’en GS ils ne doivent plus faire la sieste (on n’a pas tenu compte de l’avis de la maîtresse :-/). C’est vraiment n’importe quoi !
Bonjour Nathalie,
Lorsque tu es dans ta classe, tu as les pleins pouvoirs pour dégager des temps de récupération à des moments stratégiques. A toi de mener la dance et de définir ton rythme en t’appuyant sur ce que tu ne peux pas changer.
Il faut vraiment prendre en main cette question au niveau individuel et s’entraîner dès maintenant, parce que sinon l’an prochain (réforme avec une semaine-marathon) il va y avoir un effondrement généralisé des énergies.
Merci et bravo pour ce rendez-vous du mercredi matin toujours instructif et vivifiant.
Je m’entends très souvent dire à mes élèves de GS : ” Allez , vite vite on se dépêche … ”
Dans les toilettes , en salle de jeux ,dans la classe, dans les couloirs…. Bref très souvent et trop souvent.
J’ai maintenu le temps calme en début d’après-midi, les jeux de doigts, les chants,les rires, la relaxation pour ” récupérer”, et surtout “je me soigne” pour ne pas être aspirée par les exigences et les ” commandes ” de l’école élémentaire et garder du bon sens !!
j’attends avec impatience tes idées et tes trucs que je pourrai partager avec mes colllègues.
A bientôt.
Chystel
Je suis bien consciente de la notion de rythme, surtout au niveau de notre corps puisque j’ai une formation initiale de biologiste. Cependant, je me laisse moi-même happer par les rythmes effrénés de nos quotidiens et j’ai donc bien du mal à ne pas y entraîner mes élèves. A chaque début d’année je me promets d’instaurer des petites routines mais ça ne tient pas longtemps. Peut-être vas-tu donner des trucs +++ pratiques.
Merci pour cet article, j’attends la suite.
Une petite citation de Marie-Pape Carpantier, la fondatrice avec Pauline Kergomard, des écoles maternelles, qui me semble illustrer ton propos. Le texte date de 1867. C’est la première conférence d’un recueil qui s’intitule Introduction de la méthode des salles d’asile à l’école primaire :
“Il faut le reconnaître, le besoin qu’ils éprouvent de se mouvoir continuellement, cette turbulence, ce tourbillonnement d’une fourmilière de petits êtres bruyants que rien ne lasse, voilà le supplice des hommes faits, et la fatigue des récréations après la fatigue des classes. Oh ! je sais ce que vous éprouvez alors, et j’y compatis du fond de mon âme. Pourtant, ce bruit, ce mouvement ont leur raison d’être. Ils sont d’une nécessité absolue pour le développement de tout ce qui est vivant et jeune. Ils prennent leur source dans le besoin musculaire des enfants, dont les forces, soumises à une loi générale, ne peuvent s’accroître qu’en s’exerçant. Il ne dépend pas de nos élèves de rester tranquilles et muets, de rester sages, comme on le dit avec une irréflexion ou une ignorance dont je m’étonne. Sage ! celui qui ne crie, qui ne rit, ni ne remue ? Mais s’il se trouve jamais un tel enfant parmi vos élèves, messieurs, enterrez-le, c’est un enfant mort! (là, c’est un peu exagéré, je trouve)
Quant à ce bruit sourd et sans nom d’auteur, ce mouvement intempestif et insaisissable qui se produisent indûment pendant les classes, et qui sont parfois irritants jusqu’à la colère !…, soyez sûrs, et d’ailleurs vous l’avez déjà expérimenté, que ni la colère, ni les punitions, ni les raisonnements, ni les promesses n’y peuvent rien. Les coups même, les coups resteraient inutiles ! Les enfants, voulussent-ils sincèrement vous obéir, n’y parviendraient que pendant un court moment, et les bruits et les murmures et l’agitation reprendraient bientôt leur cours, comme un ruisseau qui surmonte tous les obstacles.
Vous n’avez que deux moyens pour mettre fin à ce fléau, mais ces deux moyens sont infaillibles : le premier, c’est de couper vos classes, ordinairement trop longues, par des marches, des chants et quelques minutes d’exercice libre au grand air. — Le second, c’est de rendre vos leçons plus vivantes, plus pratiques; d’en faire des leçons de choses.
En un mot, selon le vœu de M. le Ministre, d’introduire dans votre enseignement la méthode des salles d’asile, la méthode naturelle, physiologique, la MÉTHODE enfin, car il n’y a qu’une méthode, comme il n’y a qu’une vérité ! Toutes les inventions qui ne procèdent pas de la méthode maternelle: toutes celles qui ne sont pas calquées sur la nature, seul type offert par le Créateur à notre sagacité, ne méritent point le nom de méthodes. Ce ne sont que des procédés de fantaisie, des systèmes, de l’arbitraire !”
Merci Julien !
Quel texte moderne, quelle justesse…
Si un jour tu veux nous écrire un article sur cette dame, les portes de Tilékol te sont ouvertes.
En attendant, voici un modeste hommage…
Ok, mais ce ne sera pas pour tout de suite. Pour l’instant, je vais mettre ses textes au propre.
En tout cas, c’est sûr, Pape-Carpantier est une des grandes personnalités de l’histoire de la pédagogie.
Outre les leçons de choses qui sont vraiment une nouveauté en France, elle contribue aussi à introduire la pédagogie de Fröbel pour la géométrie et la méthode phonomimique de Grosselin pour la lecture (l’ancêtre de la méthode Borel Maisonny et de la Planète des alphas)= 150 ans d’avance, ou plutôt c’est nous qui avons 150 ans de retard à rattraper.
Sa façon de concevoir les salles d’asile comme l’équivalent, pour les enfants qui n’ont pas la chance de rester à la maison, de l’éducation maternelle, en fait quasiment la créatrice de l’école maternelle. Il n’y a plus que le nom à changer, mais le concept est déjà là, dans l’oeuvre de Pape-Carpantier.
Son héritière directe est Pauline Kergomard, inspectrice générale des écoles maternelles de 1879 à 1917 et l’auteur de “L’Education maternelle dans l’école”(bouquin que j’ai retapé et mis en ligne, on le trouve facilement sur le net).
Ne me dis pas que tu as retapé tout ce texte à la main…
Il est disponible sur ton blog, ici :
http://ecolereferences.blogspot.com/2011/11/pauline-kergomard-leducation-maternelle.html
P-P Carpantier a 150 d’avance, et à mon avis elle devait avoir plus de 25 élèves en classe…
Pas exactement. Je passe à l’ocr le pdf de gallica et ensuite je passe beaucoup de temps à corriger les fautes.
Nombre d’élèves : tout à fait. Il était énorme : 40, 50, 60, 70… Il faut garder cela à l’esprit quand on lit ces auteurs du XIXe, sinon on ne peut pas comprendre beaucoup de choses, notamment pour l’éducation physique.