Pendant tout le confinement et jusqu'à la fin de l'année scolaire, Marie-Solène, enseignante en TPS, a accompli un exploit : “faire la classe”, depuis son domicile, en direct sur Youtube. Elle a même monté un studio chez elle, en reconstituant un atelier et le coin des rituels ! Elle a littéralement “cartonné”, fédérant une communauté de près de 100 000 fans inconditionnels.

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Je l'ai contactée, et elle a très gentiment accepté de répondre à quelques questions. Venez découvrir une “maîkresse” qui a su s'emparer de manière magistrale des technologies numériques en plaçant la barre très haut tout en gardant son sourire et sa simplicité.

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C'est souvent dans l'adversité que germent les plus belles réussites. Parce que certains regardent la difficulté droit dans les yeux et en font une opportunité, un tremplin et même une chance.

En mars dernier, dans un article qui se voulait positif, je vous disais que j'étais persuadé que cette situation inédite de confinement allait démontrer la capacité de l'humain à s'adapter, et que l'utilisation du numérique à l'école allait enfin montrer et démontrer son utilité.

Je suis certain que nombre d'entre vous ont découvert des outils tout simples, comme les Padlets par exemple, et ont grandement amélioré la relation à distance avec les parents d'élèves, par exemple.

Vous pouvez en être fiers à juste titre, pour certains d'entre vous, c'était un vrai bond en avant.

La maîtresse part en live

Marie-Solène, elle, est allé très loin.

Elle a fait très fort.

Comment dire…

Elle a pulvérisé le record du monde de la pédagogie connectée en maternelle.

En toute simplicité, en toute gentillesse, et avec le sourire.

Elle a monté une chaîne Youtube (“La maîtresse part en live“) et a fait son émission en direct, chaque jour à 15 heures.

Elle avait quand même un atout dans sa manche : son mari, Ronan, a une entreprise de production de vidéos, avec du matériel et une équipe de professionnels compétents. Ça aide 🙂

Mais il n'empêche : vous vous voyez, vous, transformer votre appartement en studio, et vous lancer dans une heure DE DIRECT chaque jour, comme ça, devant les caméras, sachant que des dizaines de milliers d'yeux vous regardent, des enfants, des parents d'élèves, des enseignants ?

Et avec talent, en plus ?

Et ce n'est pas tout

Ce n'est pas tout !

Elle a créé un espace sur le cloud de Google, où elle met à la disposition des parents des fiches avec le matériel à prévoir pour chaque session, les fiches coloriages, des défis de motricité fine, des fiches pour les rituels, etc…

Ce n'est pas tout !

Elle a monté un serveur “Discord” dédié. Un Discord est un genre de messagerie instantanée de groupe, où les gens communiquent, partagent des fichiers, des images, etc… Inutile de dire qu'il a un succès fou.

La maîtresse dans sa classe

A chaque émission, les enfants et les parents RAVIS entraient dans la classe virtuelle de Marie-Solène. Rituels, chansons, ateliers, comme en classe. Des recettes, des moments de folie, de vrais apprentissages, des expériences…Le bonheur.

Mais je ne vais pas tout vous dire ici : je vous place une vidéo d'une rediffusion pour que vous puissiez vous rendre compte par vous-même de l'ambiance, et juste au-dessous, je vous retranscris la conversation téléphonique que nous eue il y a quelques jours.

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Marie-Solène : l'interview

-Bonjour, Marie Solène ! Se lancer dans une vidéo en direct chaque jour n'est pas une mince entreprise. Comment l’idée est-elle apparue ?

Au début du confinement, j'ai participé à une réunion avec mes collègues pour faire le point sur la continuité pédagogique. En TPS (ma classe), je n'avais pas d’obligation de continuité pédagogique. J’ai envoyé un mail avec des pistes pour les parents.

Et c'est là que Ronan, mon mari, m’a dit “Pourquoi ne ferais-tu pas des vidéos, et carrément une heure de classe à la maison en direct, avec des temps forts qui reprennent les temps importants en maternelle ?”

Il se trouve que Ronan est de la partie, il a une boîte de production et produit la chaîne Youtube “le vortex“. J’aime les défis : pourquoi pas tenter l’expérience ? Le matériel et humain était présent : community manager, réalisateur. Nous avons mis une semaine à tout “caler”.

J’ai construit la trame autour de quatre temps forts : rituels (alphabet, date, couleur, histoire, ateliers et chanson.

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Une copine graphiste a fait l’habillage, un youtubeur nous a fait les jingles.

J’ai demandé de l’aide au groupe Facebook « enseigner en distance en maternelle », et plein d’enseignants m’ont aidé et, par exemple, m'ont envoyé des marionnettes. C’était une mine d’or : il y a énormément d'entr'aide dans ce groupe, ça faisait du bien de se sentir soutenu.

Ils ont commencé à faire de la pub autour d’eux, et ça a pris une ampleur que je n’imaginais pas.
Au début, il y avait 60 spectateurs en direct, et c'est monté à un pic de 9500 !

La technique

-Au niveau technique, on sent que tout est très “pro”, dès le début. Bravo !
Penses-tu que tu aurais pu lancer ce live quotidien de manière plus modeste sans avoir pu bénéficier de la production ? Et pourquoi avoir choisi un live ? C'est techniquement risqué, il n'y a pas le droit à l’erreur. La première idée qui me serait venue à l'esprit aurait été de faire un enregistrement et un petit montage…

Tout simplement parce que je ne sais pas faire le montage, et mon mari avait les compétences, même si ça a représenté du boulot en plus pour lui. On avait les moyens de le faire et c’est plus spontané. On ne s’est même pas posé la question !

-Je trouve ça extraordinaire. En plus, techniquement, c'est risqué, un problème technique peut surgit au milieu du direct. Et je suppose que pour toi, ça n'a pas été évident : ne pas se tromper, ne pas bafouiller, être à l'aise devant la caméra…

On a fait des essais. J’étais stressée ! Mon mari m’a dit de me détendre, et au bout de trois ou quatre épisodes j’étais à l’aise et je me suis prise au jeu.

J’avais un moment de répétition avant chaque live pour ne pas me planter. Je répétais les histoires, les chansons et les ateliers. Cela n'a pas empêché quelques imprévus. Par exemple, au moment où je faisais de la pâte à crêpes, le fouet s’est cassé en plein milieu du direct… Mais ce sont aussi ces petits événements imprévus que les gens aimaient bien.

-J'ai remarqué que tu utilisais le partage de fichiers de Google Drive, ce qui est une excellente idée, et aussi “Discord” (un service de messagerie instantanée de groupe), quelle a été son utilité ?

Je n’utilisais pas beaucoup cet outil, les gens non plus, et le fait de le proposer a créé une communauté de parents et d’enseignants : les parents postaient les photos des enfants dans le cadre des défis et des ateliers, un livre d'or s'est créé, et on s'est retrouvé à 13 000 personnes sur le Discord ! Cela a créé une communauté, mais c'est également très chronophage. Certains parents se sont proposés comme modérateurs, une équipe d’animation a été créée. Le but du Discord, c’est de rendre les gens autonomes.

-Au niveau financier, étant donné que plusieurs professionnels intervenaient sur la partie technique, comment avez-vous fait ?

Financièrement, il n'y a pas de rémunération, pas de sponsoring, pas de publicité. Nous n’avons pas voulu monétiser la chaîne. Le réalisateur et les autres intervenants ont été bénévoles. On a mis en place un financement participatif. Mon mari les a payés grâce à sa boîte et grâce au financement participatif on a pu équilibrer.

On ne voulait pas faire de placement de produit, ce n’était pas dans notre éthique. Il faut une neutralité. J’ai refusé toutes les propositions, à part les Alphas que j’ai contactés pour voir si je pouvais simplement utiliser leur méthode dans les vidéos. Ils étaient très prudents, parce que d’autres font des vidéos qui ne sont pas du tout conformes à la méthode. Je leur envoyais à chaque fois mon projet de séance pour voir s'il était bien conforme.

La pédagogie

-Tu as mis en avant l'importance des rituels…

Ce sont les rituels que je faisais dans ma classe. Je me suis inspirée de ce que je faisais. La mascotte est très connue en maternelle. Les enfants se sont créés une mascotte. Dans cette période, c’est important de leur donner des repères, c'est pour cela que j'ai choisi le petit train des jours, la comptine de l'alphabet, compter jusqu’à la date, habiller p’tit loup, dire les couleurs. Il y en avait pour les tout petits et pour les plus grands.

L'atelier du monstre avaleur de bonbons !

J’ai essayé de différencier pour les 3 niveaux, mais même pour les alphas les petits regardaient avec plaisir. Je ne voulais pas trop pousser les petits… Ils étaient fiers quand ils ont repris l’école de dire à leur maitresse qu’ils savaient chanter leur alphabet. Pour les ateliers maths ou langage, je faisais un atelier par niveau, en différenciant.

-Les parents ont pu découvrir ce qu'il se passait dans une classe de maternelle…

Oui, ça s'était super. Certains m'ont dit qu'ils avaient l’impression d’être une petite souris dans la classe. J'espère que ça a pu contribuer à changer la mentalité des gens : ils ont vu que ce n’était pas la garderie. Je m’adressais aux parents et aux enfants (je donnais des explications : par exemple, pourquoi utilise-t-on la pâte à modeler). Ça a beaucoup plu. Les parents me disaient : “On comprend pourquoi l’enfant fait un puzzles, ou de la pâte à modeler, etc…”

-Je crois que tu as réussi une performance unique.

J’essayais d’expliquer les compétences avec les mots simples. J’avais un peu peur d’ouvrir autant la classe. Est-ce que c’est bien vu par l’Education Nationale de faire ça ? Le Recteur m'a dit qu'il n'y avait pas de souci.
Les parents ne voient pas grand-chose de ce qui se passe en classe. Il y a beaucoup de manipulations, et eux veulent une trace écrite.

Les relations

-Quelles ont été les relation avec les parents de tes propres élèves ?

Ils étaient super contents. J’avais beaucoup de retour photos et vidéos sur mon mail perso . Ile me disaient “Merci pour votre investissement, pour tout ce que vous faites pour nos enfants”.

-Et avec tes collègues ?

J’ai eu aussi beaucoup d’entr’aide jusqu’à la fin du confinement.

-Et avec la hiérarchie, ton IEN ?

Je n’ai pas eu de contact avec l'IEN. Je précise que je suis dans le privé. J’ai eu des contacts par la DDEC. Le recteur m’a contactée quelques temps avant le déconfinement. Il m'a dit qu'il me suivait depuis le début, il a voulu que je continue.

-Effectivement, d'autant plus que ton domicile servait de studio…

Les éléments de rituels, les petits meubles étaient ceux de ma classe. A partir du 11 mai, j’ai eu un week-end pour tout rendre et tout refaire.

Le futur

-Est-ce que cette expérience t’a donné envie de continuer ?

Au début oui, parce que je me suis prise au jeu et que j'ai eu du mal à arrêter, mais ça fait du bien de faire une pause, et en cas de reconfinement je ne sais pas si je recommencerai. Ça dépend aussi des autres personnes de l’équipe, et je serai dans une nouvelle école. Et il y a toute l'équipe technique derrière. C’était une chaîne Youtube du confinement, il n’y aura pas forcément de suite. Donc pour le moment, c’est le gros point d’interrogation.

-Le mot de la fin ?

Ce que je proposais avec cette expérience était en complémentarité de tout ce qui faisait et je n'avais pas la prétention de remplacer les autres enseignants. C'est important de le dire. Je remercie tous les enseignants qui m’ont aidé, Facebook et Discord.

MERCI Marie-Solène !