Oui, je sais, ce titre est provocateur. J'aurais dû utiliser le mot “défi” au lieu de “chance”, mais restons positifs… Les enseignants se plaignent de voir leurs élèves se servir de ChatGPT (par exemple) au lieu de leur cerveau. Les intelligences artificielles débarquent en force, dans tous les domaines, détruisent des millions d'emploi, nous émerveillent et nous font peur.
Pourtant, les progrès techniques, une fois lancés, s'imposent. L'humanité est en train de changer, de s'hybrider avec la machine. L'école ne sera pas épargnée. Doit-on combattre le tsunami ou surfer la vague ?
Je vous préviens tout de suite : je commence cet article et je ne sais pas encore ce que je vais écrire. J'ai eu cette idée, ce début de réflexion, et je me suis dit que j'allais la coucher sur papier (façon de parler) et en faire un article. Je vais l'écrire d'une traite et le publier dans la foulée.
Parce qu'écrire sur un sujet donné permet d'actionner des mécanismes invisibles de notre cerveau humain, d'articuler sa pensée, de l'organiser et parfois de la fixer. Cela s'appelle “réfléchir”.
Le point de départ a été une constatation concernant l'art, et en particulier la peinture.
Les progrès techniques ont fait évoluer l'art au fil des siècles.
Faisons simple.
Du temps de Léonard de Vinci, les peintres se procuraient des matières naturelles utilisées comme pigments, les broyaient, les mélangeaient à de l'huile, et s'en servaient pour peindre des merveilles que nous admirons toujours actuellement.
Au XIXéme siècle, les marchands de couleurs inventent les tubes de peinture, prêts à l'emploi, facile à utiliser, à transporter. Les peintres posent leur chevalet en pleine nature, peignent les paysages tels qu'ils les perçoivent à l'instant T : c'est la révolution impressionniste.
Un beau jour, un de ces peintres, Edgar Degas, a l'idée de profiter d'un nouveau progrès technique tout récent à l'époque : la photographie. Il prend des clichés d'un cours de danse, et se sert de ces photos comme modèles pour ses célèbres tableaux et sculptures de danseuses, admirés aujourd'hui, vilipendés à l'époque.
Au cours du XXème siècle, les progrès de la chimie ont permis de créer des pigments synthétiques, moins chers et moins dangereux que ceux utilisés jusqu'alors (comme le plomb dans la couleur blanche). La peinture acrylique est apparue, ne contenant pas d'huile, séchant rapidement et donnant lieu à des oeuvres différentes, sur des formats plus grands, tirant avantage du séchage rapide et de l'absence de craquelures
Au XIXème siècle, les intelligences artificielles génératives apparaissent (vous avez vécu les premiers pas de cette révolution sur le présent blog, souvenez-vous…).
L'hybridation a commencé
Et là, nous assistons à un phénomène d'hybridation entre les artistes et les IA (Intelligences artificielles) :
- Certains peintres se servent de l'IA pour générer des modèles dont ils pourront s'inspirer dans leur peinture, ce qui est une approche pragmatique et efficace, tout comme Degas le faisait avec les photos de danseuses, tout comme les impressionnistes le faisaient avec les paysages au milieu desquels ils s'installaient, tout comme Léonard de Vinci le faisait en demandant à un de ses apprentis de tenir une harpe et de ne plus bouger pendant qu'il peignait.
- D'autres créateurs se spécialisent dans les “prompts”, qui sont les petits textes descriptifs de l'image qu'ils souhaitent générer via l'IA.
C'est ainsi par exemple qu'une intelligence artificielle a reçu un grand prix pour une oeuvre qui avait été imprimée et présentée à un concours de peinture et a déclenché la même polémique que celle déclenchée par Degas lorsqu'il a utilisé des photos comme modèles…
Concernant le monde de l'art, l'hybridation n'est certainement pas terminée, mais nous pouvons d'ores et déjà être certains que rien ne sera plus comme avant.
Les intelligences artificielles se servent des productions humaines pour alimenter leur cerveau synthétique, lui-même utilisé par les humains pour alimenter les progrès techniques.
Tous les domaines sont concernés
Quelques exemples parmi tant d'autres :
- La profession d'avocat se retrouve bouleversée par l'irruption des IA, qui leur facilitent grandement les recherches dans les nombreux et complexes textes de loi, l’analyse de situations parfois inextricables, sans parler bien entendu de l'aide à la rédaction de textes de toute nature.
- Les architectes utilisent les IA pour créer des solutions innovantes, optimiser les espaces et les matières, calculer les résistances des structures, les aider dans leur métier… La profession s'hybride avec la machine intelligente…
- La médecine utilise les IA à de nombreux niveaux : comme aide au diagnostic, comme assistant de recherche, promettant de grands progrès pouvant intervenir en des périodes très brèves.
- Certes, de nombreuses professions se retrouvent menacées, comme les rédacteurs de toutes sortes, les analystes financiers, les secrétaires de direction, les graphistes, les développeurs informatique, la liste est très longue. Quand l'hybridation va trop loin, la machine ne se contente pas d'aider l'humain : elle le remplace.
…Et l'école, dans tout ça ?
A mon avis – ce n'est que mon avis personnel basé sur ma propre expérience, mais je l'assume -, l'école, du moins en France, est largement passée à côté des réels avantages de la révolution numérique. Je ne vais pas m'étendre sur le sujet, et d'ailleurs peut-être que depuis que j'ai pris ma retraite les choses ont évolué, je n'en suis pas certain. Les hiérarchies et les politiques ont confondu contenant et contenu, “distribution d'écrans” et pédagogie.
Mais là, il va vraiment falloir réfléchir.
Parce que la révolution est immense.
C'est l'humanité elle-même qui est en cours d'hybridation, et comme dans toutes les progressions exponentielles, ça va partir à une vitesse vertigineuse.
Il va falloir redéfinir ce qu'est un savoir, ce qu'est un élève, ce qu'est un enseignant.
Il va falloir décider ce qu'on va placer dans une cervelle humaine et ce qui sera stocké et traité par une cervelle synthétique.
Vaste programme.
Avec deux résultats possible à échéance de quelques années, ces résultats devant absolument être anticipés dès maintenant, en urgence :
Résultat 1 : des zombies dirigés par des robots
Bon, j'exagère volontairement avec la description qui suit, mais c'est juste pour vous faire réagir :
A partir du moment où la machine remplacera la réflexion, que l'apprentissage de la langue, de la grammaire, de l'orthographe, de la conjugaison, des mathématiques, de la physique, de la chimie, des langues étrangères seront inutiles, de même que la mémorisation, parce qu'il suffira de demander à haute voix à l'ordinateur, au smartphone à la montre connectée ou à la puce implantée dans notre corps ce qu'on veut obtenir, à quoi servira l'école ?
A partir du moment où la plupart des professions seront entièrement gérées par l'IA, pourquoi se former ?
Le jour où la philosophie aura disparu, l'humain ne réfléchira plus à sa condition, les robots conduiront un troupeau de zombies dociles (ou pas). Les métavers remplaceront la réalité, chacun aura son casque-écran vissé sur le nez, jusqu'au jour où la machine décidera que l'humain est inutile.
Certains verront là un âge d'or, d'autres l'âge du silicium, d'autres l'enfer sur Terre. Posez la question à Terminator…
Résultat 2 : une humanité augmentée et heureuse
Pourquoi voir les choses de manière aussi négative ? L'intelligence artificielle est un outil, un outil extraordinaire, qui, lorsqu'il est correctement utilisé, augmente nos capacités sans forcément rabougrir notre propre intelligence naturelle, au contraire…
Et, comme s’agissant de la révolution numérique dont elle n’est qu’une branche, qui a la responsabilité de définir sa place parmi la population des futurs adultes ?
Qui a la responsabilité de former des futurs humains maîtrisant sans la subir cette avancée extraordinaire ?
Qui pourra faire en sorte que l’intelligence humaine soit épaulée et non pas remplacée par l’intelligence synthétique ?
Qui ? L’école, bien sûr.
Ce sera l’école qui accompagnera cette hybridation positive de l’humanité toute entière ou qui favorisera sa déchéance intellectuelle.
Encore une fois, une sacrée responsabilité !
Comment faire ? Quelle est la recette ?
Vous allez rire : j'ai posé la question à l'intelligence artificielle !
Je lui ai posé la question suivante :
“Comment l'école peut-elle former des futurs adultes qui utiliseront de manière positive les intelligences artificielles, au lieu de les subir et de perdre leurs propres capacités intellectuelles ?”
Et voici sa réponse :
Pour former des futurs adultes capables d'utiliser les intelligences artificielles (IA) de manière positive et constructive, l'école doit adopter une approche éducative intégrée et progressive. Voici quelques stratégies clés :
1. Intégration de l'éducation à l'IA dans le programme scolaire
Il est essentiel d'inclure des cours sur l'IA et ses applications dans le curriculum dès le jeune âge. Cela peut inclure :
- Introduction aux concepts de base de l'IA : Enseigner ce qu'est l'IA, comment elle fonctionne, et ses différentes applications.
- Études de cas pratiques : Présenter des exemples concrets où l'IA est utilisée de manière bénéfique.
- Ateliers interactifs et projets pratiques : Encourager les élèves à utiliser des outils d'IA pour résoudre des problèmes réels.
2. Développement de compétences critiques et analytiques
L'école doit se concentrer sur le renforcement des compétences qui permettront aux élèves de comprendre et d'évaluer les technologies d'IA de manière critique :
- Pensée critique et résolution de problèmes : Enseigner aux élèves comment analyser les informations, poser les bonnes questions et résoudre des problèmes de manière créative.
- Éthique et impacts sociaux de l'IA : Discuter des implications éthiques de l'IA et de son impact sur la société, y compris les questions de biais, de confidentialité et de responsabilité.
3. Encouragement de l'innovation et de la créativité
Les élèves doivent être encouragés à voir l'IA comme un outil pour augmenter leur propre créativité et innovation :
- Projets interdisciplinaires : Combiner l'IA avec d'autres disciplines comme les arts, les sciences sociales, et les sciences naturelles pour montrer son application polyvalente.
- Hackathons et concours d'innovation : Organiser des événements où les élèves peuvent créer des solutions innovantes utilisant l'IA.
4. Formation continue pour les enseignants
Les enseignants doivent être formés régulièrement pour se tenir au courant des dernières avancées en IA et pour pouvoir transmettre ces connaissances de manière efficace :
- Programmes de formation professionnelle : Offrir des cours et des ateliers pour les enseignants sur les technologies d'IA et leurs applications pédagogiques.
- Ressources pédagogiques actualisées : Fournir des ressources, des guides et des plateformes de formation en ligne pour aider les enseignants à intégrer l'IA dans leurs cours.
5. Partenariats avec l'industrie et les universités
L'école peut collaborer avec des entreprises technologiques et des institutions universitaires pour enrichir l'enseignement de l'IA :
- Stages et apprentissages pratiques : Offrir des opportunités aux élèves de travailler sur des projets réels avec des professionnels du secteur.
- Conférences et ateliers : Inviter des experts pour donner des conférences et animer des ateliers sur les dernières tendances et applications de l'IA.
6. Promotion de l'utilisation responsable de l'IA
Il est crucial de sensibiliser les élèves à une utilisation éthique et responsable des technologies d'IA :
- Politiques de cybersécurité et de confidentialité : Enseigner les bonnes pratiques pour protéger les données personnelles et respecter la vie privée des autres.
- Responsabilité et transparence : Insister sur l'importance de la transparence dans l'utilisation des technologies d'IA et de la responsabilité en cas de mauvaise utilisation.
En intégrant ces stratégies, l'école peut jouer un rôle crucial dans la formation de futurs adultes qui utiliseront l'IA de manière positive et innovante, tout en conservant et développant leurs propres capacités intellectuelles et créatives.
Je pose la même question à votre intelligence naturelle :
“Comment l'école peut-elle former des futurs adultes qui utiliseront de manière positive les intelligences artificielles, au lieu de les subir et de perdre leurs propres capacités intellectuelles ?”
Merci d'écrire vos réponses ou vos débuts de réponses dans les commentaires ci-dessous : à plusieurs, on est plus intelligent…
Bonjour,
Exemple concret. Mon fils est en train de préparer son grand oral et planche sur l’utilisation des mathématiques pour prédire , anticiper ou éviter les grandes crises économiques.
Il a donc regardé beaucoup de vidéos sur le sujet et me dit ce matin, dommage que je n’ai pas pensé à utiliser l’IA pour la recherche de vidéos pertinentes, car là elle vient de m’en proposer une qui est la plus intéressante de toutes celles que je visionne depuis 3 jours.
Bonjour Myriam,
Ceci est l’exemple-type d’un outil utilisé intelligemment.
De plus, je vois un complément au sujet du grand oral de ton fils : l’utilisation “par les IA” des mathématiques pour prédire, anticiper ou éviter les grandes crises économiques.
Cependant il faut faire attention parce que certaines IA (je pense en particulier à Gemini de Google) ont parfois tendance à raconter n’importe quoi…
Pour les recherches sur le web, une excellente IA est “Perplexity”, lorsqu’on lui pose une question elle parcourt le web, donne une synthèse de qualité des résultats et pointe vers les sites les plus pertinents.
Je suis confronté à des étudiants en licence et master qui utilisent parfaitement l’IA, en particulier lors des évaluations et des dossiers à rendre. La technique pour ne pas se faire prendre est astucieuse. L’étudiant soumet la question posée à l’IA, puis à partir de ce qui a été produit, il demande de repréciser 2 ou 3 points en privilégiant ce qui relève du prérequis, du débat, parfois de la polémique qu’il va ensuite rééquilibrer par de la recherche, qui elle sera sourcée. Cette question dans la question annule pratiquement tout risque d’être épinglé pour plagiat. La personnalisation de la 2eme question rend l’imposture indétectable et le correcteur “chatouillé” par le doute ne peut obtenir aucune preuve de la forfaiture. Des mémoires conçus normalement durant toute l’année, peuvent ainsi être formalisés en quelques minutes. Je corrige en ce moment des travaux brillants de personnes, qui j’espère, ont compris ce qu’elles écrivent. L’IA va sans doute provoquer une réponse forte de l’institution. Je pressens le retour aux devoirs sur tables manuscrits, téléphone rangés dans une salle attenante, montres interdites, parce que oui, j’ai oublié de dire qu’avec une montre connectée et des prothèses auditives médicales très discrètes équipées du Bluetooth, vous pouvez en toute sécurité vous faire dicter votre devoir par des complices extérieurs…
Bonjour Marc,
Ce que je retiens, c’est que tu corriges des “des travaux brillants de personnes, qui j’espère, ont compris ce qu’elles écrivent.”
C’est le noeud du problème : l’IA bien utilisée donne des excellents résultats, mais ces résultats devraient venir augmenter nos propres capacités, et non pas les diminuer.
C’est le problème que l’école devra absolument régler très rapidement… De la même manière qu’en maternelle l’utilisation des tablettes ne doit surtout pas éliminer les activités à la pâte à modeler, l’IA ne doit pas éliminer les devoirs manuscrits contrôlés, les réflexions philosophiques, la maîtrise de la langue, les échanges de points de vues différents etc…
Mais pour y arriver, une grosse prise de conscience est nécessaire, sous peine de conséquences dramatiques : l’IA progresse de manière exponentielle, il n’y a pas de temps à perdre..
Bonjour Michel,
c’est un vaste sujet que tu nous proposes là…
Je pense en effet qu’il va falloir apprendre à faire avec l’IA plutôt que de s’user à lutter contre.
Mais, comme tu le dis, l’école a souvent été en décalage avec les évolutions numériques. Personnellement, je ne me passerais plus du formidable TBI dans ma classe, qui me permet de rendre mes séances plus dynamiques, plus interactives… Mais je sais que la plupart de mes collègues (et certainement moi-même) n’utilisent cet outils que de manière très partielle, car les formations sont bien souvent insuffisantes…
Et je pense que l’IA pourra certainement m’aider à l’avenir pour aider au mieux mes élèves en fonction de leurs besoins.
En revanche, je ne peux que déplorer les dégâts causés par l’utilisation des écrans chez mes élèves. Et finalement, alors que j’utilisais pas mal le cahier de texte en ligne proposé par notre ENT, je crois que je vais largement diminuer cette pratique, car cela ne fait qu’encourager les enfants et leurs parents à sortir leur smartphone (je précise que j’ai des CM2, mais ce problème démarre bien plus tôt).
Je pense sincèrement qu’il faut veiller à avoir une pratique très raisonnée des écrans avec les plus jeunes, car ils deviennent trop vite accros, et il ne savent plus réfléchir. Cela risque de générer les “zombies” dont tu parles dans ton article. Ayant des enfants “ados”, je n’en peux plus de lutter pour qu’ils fassent autre chose que des écrans. Ils ont souvent l’excuse du “mais, j’ai besoin d’aller sur pronote (ou internet) pour faire tel ou tel devoir!”. Ils ne voient plus le monde qui les entoure, sont de moins en moins aidants à la maison… Et c’est normal, car chaque appli, chaque jeu, fait en sorte de capter leur attention.
Bref, je m’éloigne un peu du sujet de l’IA, mais globalement, je pense qu’il faut être prudent chez les plus jeunes, et y aller de manière progressive, pour leur laisser le temps de “développer” leur propre intelligence.