Maria Montessori était une pédagogue, cela, tout le monde le sait. Elle mis au point une approche éducative qui fait de nos jours de plus en plus d’adeptes, parents ou enseignants. Bien souvent, ces mêmes adeptes se font leur propre idée (approximative) de ce qu’est la pédagogie Montessori. Nous sommes un peu dans un phénomène de mode, avouons.
Mais combien d’entre nous, « adeptes pratiquants » ou non, enseignants ou non, connaissent le véritable objectif qui a guidé l’action passionnée de Maria, sa vie toute entière, objectif pour lequel elle a déployé tant d’énergie, effectué tant de voyages, écrit tant de livres ? NON, il ne s’agit pas simplement d’apprendre à lire et d’acquérir des connaissances. Ça va bien au-delà et c’est très étonnant.
Lorsque je vous ai annoncé que j’allais vous faire un compte-rendu de lecture du livre « l’esprit absorbant de l’enfant », il y a quelques semaines, je ne l’avais pas encore lu, et d’ailleurs je suis encore loin de l’avoir fini.
Je m’attendais à faire « comme d’habitude » : comprendre la structure de l’ouvrage, suivre l’enchaînement logique des chapitres, en faire une synthèse qui prendrait du temps, certes, mais qui serait finalement assez aisée.
…J’avais tout faux !
Parce que ce bouquin, à première vue, part dans tous les sens. Il faut suivre le cheminement de la pensée de Maria, et ce n’est pas chose simple. Cette pensée est d’une richesse incroyable.
Mais rassurez-vous, aujourd’hui je vais commencer à vous parler de ce livre.
J’y reviendrai par d’autres articles ultérieurs, au fur et à mesure que j’avancerai dans cette jungle luxuriante.
Une dimension inattendue
Commençons par les premières pages de « L’esprit absorbant de l’enfant ».
Je vous avoue que j’ai eu une grosse surprise en les lisant. Je ne m’attendais pas à faire une telle découverte.
Ce qui frappe, c’est la dimension qu’entend viser Maria.
Pour elle, l’humanité toute entière a jusqu’à maintenant échoué, malgré les philosophes, malgré les religions.
L’avenir des hommes est dans les enfants, à condition de pouvoir faire émerger la puissance qui est en eux et qui n’a jusqu’à présent pas été révélée, parce que l’éducation se contentait d’un tout petit objectif : transmettre les connaissances.
Reconstruire l'humanité !
Nous devons comprendre que ce livre a été édité en 1949, alors que le traumatisme de la guerre était encore bien présent et que nos sociétés n’avaient qu’un mot à la bouche : reconstruction.
Maria propose carrément de reconstruire l’humanité, rien de moins, en révélant le potentiel humain caché et qui se trouve dans chaque petit enfant.
L’enfant est le constructeur de l’homme
Elle a des mots magnifiques qui révèle son ambition :
« Il existe, ignorée, une entité psychique, une personnalité sociale, immense de par la multitude de ses individus, une puissance dans le monde qui doit être prise en considération ; si aide et salut peuvent venir, ils ne viendront que de l’enfant, puisque l’enfant est le constructeur de l’homme ».
Et elle continue ainsi :
« Le petit enfant est doué de pouvoirs inconnus, qui peuvent guider vers un avenir lumineux. (…) C’est le développement du potentiel humain qui doit être le but de l’éducation ».
Faire éclore un humain nouveau qui reconstruira l’humanité.
Car l’enfant est doté de super-pouvoirs. Maria donne l’exemple de l’acquisition du langage : un adulte aura le plus grand mal à apprendre une langue étrangère alors que le petit enfant « absorbera » le langage et s’auto-apprendra à parler !
Donc, le petit enfant, d’après Maria, est capable d’absorber la connaissance, de s’enseigner à lui-même : voilà donc d’où vient le titre du livre : « L’esprit absorbant de l’enfant».
Cet esprit absorbant le protège en quelque sorte de l’influence des adultes sur son esprit. C’est sa force, sa cape magique. L’enfant est Superman, et malheureusement devient simple humain en grandissant. (Bien entendu, cette comparaison est de moi, pas de Maria !)
Pendant les trois premières années de son existence, l’enfant est capable de réaliser des exploits en termes d’apprentissages, à condition qu’il soit placé dans les conditions adéquates. Ah, nous revoilà en terrain connu. Redescendons sur Terre.
Le chapitre 2 du livre s'intitule « Education pour la vie » : ces quatre mots ont un double sens : d’une part, l’éducation ne s’arrête pas lorsque le parcours scolaire se termine mais dure tout au long de l’existence. D’autre part, l’éducation doit absolument intégrer vie biologique et vie sociale, ne pas en faire abstraction. Non, le but de l’école n’est pas d’obtenir un diplôme, il est bien plus important… La VIE est le centre ultime de la fonction de l’éducation.
Donc : l’éducation doit commencer dès la naissance. C’est le devoir des parents, mais aussi de la société toute entière. Et certainement pas uniquement de l’école.
C'est l'enfant qui construit l'homme
Un autre concept important de Maria est celui-ci : c’est l’enfant qui construit l’homme, et non l’inverse.
Tous les autres acteurs sociaux, à commencer par les parents, sont comme collaborateurs de cette construction.
Il est facile de faire le rapprochement avec la doctrine marxiste très présente au XXéme siècle : par exemple, pour ce courant de pensée, c’est l’ouvrier qui crée la richesse, et non pas l’usine qui l’emploie (simplification à l'extrême). Pour Maria, c'est l’enfant qui crée l’homme, et non l'inverse, et il a donc le pouvoir de transformer radicalement la société.
A ce stade de la lecture, j’ai quand même compris que Maria Montessori était bien plus qu’une simple pédagogue : elle se sentait en quelque sorte investie d’une mission quasi-sacrée, celle de créer une nouvelle humanité, rien de moins ! Utopie ?
On pourrait carrément parler de pédagogie politique, parfaitement en phase avec les courants de pensée qui ont bourgeonné au siècle passé et qui voulaient renverser l’ordre établi en instaurant un nouvel âge d’or qui verrait éclore une nouvelle humanité. Ajoutez à cela l’élan de la pensée freudienne, qui avait pris chez les intellectuels une importance que nous avons du mal à imaginer de nos jours et vous obtenez un cocktail réellement révolutionnaire. Utopie ?
Il est intéressant de voir que dans la période actuelle, un autre courant de pensée propose de construire une nouvelle humanité. Nous sommes bien loin du concept d'âge d'or faisant suite à la libération du prolétariat, ou bien de l'humanité régénérée par le pouvoir des enfants.
Ce courant de pensée s'appelle “transhumanisme”. Il se base sur les progrès de la biologie et de l'intelligence artificielle, associés à la technologie numérique, ce qui aboutira à la création d'un homme nouveau, un post-humain, immortel, carrément. Utopie ?
Si le sujet du transhumanisme vous intéresse, je vous suggère de lire le roman hallucinant de Richard Morgan intitulé “Carbone modifié“.
Revenons à Maria Montessori : alors, était-elle utopique, on non ? Le succès actuel rencontré par tout ce qui est estampillé “Montessori” présage-t-il du développement de l'enseignement de sa pédagogie dans sa grandiose et exaltante dimension ?
Je suis curieux d'avoir votre avis sur le sujet. A bientôt pour la suite !
Adepte de la « pédagogie » Montessori , j’aime bien la citation de Pierre Rabbit « Nous nous posons toujours la question de quelle terre nous allons laisser à nos enfants, il faut également se poser la question , quels enfants nous allons laisser à cette terre »
D’ou l’importance de la bienveillance et de l’autonomie dès la petite enfance , comme Nadia Montessori nous l’enseigne.
Merci pour tes réflexions toujours passionnantes.
Bonjour, je pense que tu parles de Pierre Rabhi, et non pas Rabbit*.
Ta citation est parfaitement en phase avec l’ambition ce Maria Montessori.
Merci !
*(Rabbit, lui, se prénomme Roger)
?ça même même !!! Besoin de vacances moi ?!!!
** ce serait plus “Peter Rabbit” , personnage phare de l’auteure et illustratrice Beatix Potter. Il y a un petit quelque chose qui le rapproche effectivement, au-delà du nom, de Pierre Rabhi ^ ^
Je me suis souvent fait cette réflexion que l’école et l’éducation venait “formater” et donc “limiter” les pouvoirs extraordinaires des petits enfants… C’est un peu le grand dilemme de l’éducation : contraindre tout en laissant se développer ce qui existe déjà dans chacun des élèves, motiver sans forcer, amener vers la difficulté sans décourager, accepter les autres tout en s’affirmant soi-même… On n’y arrive pas toujours, les parents ne nous y aident pas toujours non plus, surtout ceux qui font tout à la place de leur enfant et les assignent à un rôle de bébé qui ne sait rien faire !! C’est un peu rageant parfois, parce que ces enfants ont beaucoup plus de mal à se mettre dans les activités et à se motiver, ils se découragent vite, alors qu’intrinsèquement, si on les laisse faire, ils aiment la difficulté !!
Maria Montessori a lancé ses expérimentations de maisons d’enfants avec des enfants des rues, qui n’étaient pas “entravés” par des parents trop prévenants… finalement, c’était peut-être plus facile !! 😉
Personnellement, je fonctionne avec une partie du matériel Montessori, en activités libres et choisies parmi celles disponibles, beaucoup d’activités extérieures, du jardinage, des élevages, de la patouille, et je constate que ça fonctionne particulièrement bien pour les élèves qui ont l’habitude d’être assez autonomes chez eux, et qu’ils faut énormément accompagner et motiver ceux qui ne le sont pas. Ils ne savent pas quoi faire, ou bien ne veulent pas faire grand chose, surtout pas ce qui pourrait leur demander de faire un effort… Du coup, si je veux qu’ils avancent un peu dans les apprentissages (parce qu’on a quand même des objectifs à atteindre…), il faut parfois revenir à une activité imposée pour laquelle j’insiste parfois pour que l’élève la mène jusqu’au bout, car j’estime que c’est aussi parfois ça le rôle de la maîtresse… Tout en restant bienveillant, cela va de soit, il me semble qu’il est important de savoir être ferme aussi.
Bref, c’est toujours très délicat et pour mener une classe dans l’esprit de Maria Montessori, nous aurions besoin d’être mieux formées dans ce sens et surtout il faudrait plus d’adultes dans les classes, car nous devons accompagner les petits élèves dans les activités qui nécessitent l’usage de l’eau, du fer à repasser ou des couteaux de cuisine !…
Vous avez peut-être déjà vu le film documentaire “Le maître est l’enfant” sur une classe Montessori… Ca fait un peu rêver !! Ca montre bien tout l’intérêt de cette pédagogie en tout cas.
Et les neurosciences viennent bien confirmer cela aussi.
Bonjour Sarah,
Très juste.
Pour reprendre une phrase de l’article, “l’éducation doit commencer dès la naissance. C’est le devoir des parents, mais aussi de la société toute entière. Et certainement pas uniquement de l’école.”
Merci de nouveau Michel pour cet article passionnant !
Merci beaucoup pour cet article, passionnant !
Merci Michel ! Tu as l’art de nous permettre de poser un nouveau regard sur une pédagogie qui effectivement a le vent en poupe mais est souvent réduite à un matériel et en fait c’est tellement plus que ça… il me semble d’ailleurs que Maria Montessori était assez dépitée en fin de vie car elle avait l’impression que son message n’avait pas vraiment été compris… et déjà réduit et vidé de son sens premier …
Je rejoins Sarah lorsqu’elle parle de ces élèves qui n’ont le goût à rien car on leur fait tout … Comment faire comprendre ça aux parents ??? Pour qu’ils changent vraiment leur façon de faire ?
Bonjour Claude,
Une chose est certaine : en ce qui me concerne, je n’avais jamais eu connaissance de cet aspect de Maria Montessori.
J’aurais dû lire le livre bien avant.
Je pense que toute personne attirée par l’aura du mot “Montessori” devrait avant toute chose lire les écrits de Maria. Ensuite, ils pourraient décider si “ils y vont” ou pas…
Les relations avec les parents ne sont jamais faciles, surtout aux deux extrêmes : public particulièrement favorisé ou public particulièrement défavorisé.
Néanmoins, il ne faut pas baisser les bras : l’expérience m’a appris qu’il suffit de presque rien pour tout changer. Il faut surtout garder sa joie et son enthousiasme en classe, avec les élèves, parce que c’est à mon avis un ingrédient essentiel, indispensable.
Merci pour cet éclairage qu’un public non averti ne peut connaître; en effet, le business “montessorien” oublie l’essence même de ce pourquoi cette femme militante et engagée pour l’Education Nouvelle (notamment) a oeuvré durant toute sa vie. Ayant vécu les 2 guerres mondiales, elle était surtout portée par l’idée que “l’éducation est la meilleure arme pour la paix”… Cette recherche de la paix intérieure se retrouve dans sa pédagogie autour de la quête de l’autonomie dans un climat de “paix” avec soi-même et donc avec l’autre (les autres…). Lorsque l’on a compris la philosophie de Montessori, le matériel nous apparait alors sous un autre aspect que le business et effet de “mode” qui tournent autour de son nom. Merci d’avoir allumé quelques lanternes sur la question. L’ouvrage “l’enfant” (un de ses premiers) est aussi passionnant.
Il y a une quarantaine d’années, je sortais avec une fille qui suivait l’école Montessori de Lausanne. (Elle était donc en formation professionnelle, hein, c’était pas une enfant!) C’est donc à cette époque que j’ai entendu parler de Maria Montessori pour la première fois. Ce que ma copine d’alors m’en avait dit m’avait fort intéressé.
Puis nous nous sommes séparés et je n’ai plus entendu parler de Montessori. Je suis frappé de voir qu’elle revient sur le devant de la scène depuis quelque temps.
Je me rappelle que ma copine m’avait dit que, dans le jardin d’enfants «montessorien» où elle faisait son stage, on ne disait pas que les enfants jouaient mais qu’il travaillaient. Cela m’avait frappé. Comme une manière de valoriser le jeu des enfants comme étant un vrai travail d’apprentissage, et non un loisir. C’est vrai qu’à l’époque le jeu n’était pas sérieux, mais le travail oui. Et cette manière de dire allait dans le sens du livre «Le bébé est une personne»: non, l’enfant n’est pas une pré-personne mais bien une personne, et il ne joue pas en attendant de travailler, il travaille déjà, il étudie, il apprend, il découvre…
Aujourd’hui, lorsqu’on veut rendre un travail sexy, on conseille de le faire comme un jeu, à l’image de cette collègue de travail qui m’expliquait qu’elle considérait le tableau Excel qu’elle utilisait pour la planification du service comme un grand sudoku!