Avertissement : aujourd'hui, contrairement à mon habitude, je vais essayer d'écrire cet article en le faisant LE PLUS COURT POSSIBLE.
Mon objectif est qu'il soit lu par le plus d'enseignants possible. Donc, si vous pensez qu'il en vaut la peine, n'hésitez pas à le partager largement auprès de vos collègues de maternelle, d'élémentaire et au-delà.
Michel Desmurget est directeur de recherche en neurosciences à l’Inserm et essayiste. Il est récemment intervenu dans les colonnes du Figaro pour dénoncer le “piètre pis-aller” de l'enseignement numérique, qui “favorise le décrochage des élèves et accroît les inégalités.” Coïncidence, son texte incendiaire est paru juste au moment où le ministre de l'enseignement décidait de fermer les écoles une semaine avant la date des vacances, pour cause de virus, et d'utiliser le télé-enseignement.
Michel Desmurget a également écrit un livre à charge intitulé : “La fabrique du crétin digital : les dangers des écrans pour nos enfants”.
Voici le résumé de ce livre tel que je l'ai lu sur la page de vente du livre sur le site de la Fnac, je pense avoir le droit de le reproduire ici :
“La consommation du numérique sous toutes ses formes – smartphones, tablettes, télévision, etc. – par les nouvelles générations est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d'écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6 h 45. En cumuls annuels, ces usages représentent autour de 1 000 heures pour un élève de maternelle (soit davantage que le volume horaire d'une année scolaire), 1 700 heures pour un écolier de cours moyen (2 années scolaires) et 2 400 heures pour un lycéen du secondaire (2,5 années scolaires).
Contrairement à certaines idées reçues, cette profusion d'écrans est loin d'améliorer les aptitudes de nos enfants. Bien au contraire, elle a de lourdes conséquences : sur la santé (obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite…), sur le comportement (agressivité, dépression, conduites à risques…) et sur les capacités intellectuelles (langage, concentration, mémorisation…). Autant d'atteintes qui affectent fortement la réussite scolaire des jeunes.
” Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l'histoire de l'humanité, une telle expérience de décérébration n'avait été conduite à aussi grande échelle “, estime Michel Desmurget. Ce livre, première synthèse des études scientifiques internationales sur les effets réels des écrans, est celui d'un homme en colère. La conclusion est sans appel : attention écrans, poisons lents !”
Je n'ai pas eu le temps de lire tout l'ouvrage, mais je pense pouvoir quand même le résumer en disant que son fil conducteur est le suivant :
“Les écrans sont néfastes pour les enfants, nous sommes en train de fabriquer une génération entière de crétins.”
Tout ce qu'explique Michel Desmurget est parfaitement argumenté, et je dirais même irréfutable.
“Les écrans”
Une fois de plus, je retrouve cette affirmation à propos des écrans.
Une fois de plus, je vais reprendre mon image : les marteaux sont nocifs pour les doigts.
Mais pour planter des clous, on n'a pas trouvé mieux.
Un “écran” n'est qu'un objet technologique.
C'est l'utilisation qu'on fait des écrans qui est nocive.
Et c'est l'utilisation, telle qu'elle a été soigneusement élaborée par certains géants (ou pas) malfaisants, qui provoque ces dégâts.
Et l'utilisation qu'en font de nombreuses personne est nocive, toxique, abrutissante. On est bien d'accord.
Néanmoins, je vous pose quelques questions :
- Est-ce que le blog que vous êtes en train de lire sur un écran vous transforme en crétin ?
- Est-ce que l'accès à toute la connaissance mondiale en quelques clics sur l'écran votre ordinateur, tablette, smartphone vous transforme en crétin ?
- Est-ce que la lecture du livre “La fabrique du crétin digital” sur l'écran d'une liseuse vous transforme en crétin ?
Que faire ?
Le livre de Michel Desmurget comprend 428 pages.
A la fin du livre, sur une page, il explique “que faire” :
- Ne pas se résigner. Entièrement d'accord !
- Résister. Et là, je le cite : “Certes, résister n'est pas facile, mais c'est toujours possible ; beaucoup le font, notamment dans les milieux favorisés”.
Quel programme.
S'en suivent 6 règles essentielles, comme “pas plus de trente minutes à une heure par jour, tout compris”, “pas dans la chambre”, “pas le soir avant de dormir”.
Avec ça, on est sauvé.
Que faire ? (bis)
Vous allez me dire, je suis bien dur envers cet auteur, qui est un professionnel du cerveau, qui a étudié à fond la problématique, et qui pousse un cri d'alerte particulièrement bienvenu.
Pas du tout. Encore une fois, il a parfaitement raison.
Mais à mon tour de poser une question.
Si ce n'est pas l'école qui apprend les bons usages des écrans, QUI LE FERA ?
Qui ?
BIEN ENTENDU, les enseignants DOIVENT être formés, non pas uniquement à appuyer sur le bouton qui lance une activité pédagogique numérique, mais formés aux DANGERS et aux BONNES PRATIQUES des “écrans”.
Un simple exemple, en maternelle : si vous ne vous sentez pas à l'aise, si vous avez conscience que ces satanés écrans sont dangereux, faites une simple chose : utilisez uniquement l'appareil photo/caméra d'une tablette, et rien d'autre.
Vous obtiendrez un extraordinaire support de langage et vous montrerez à vos élèves de bons usages “des écrans”.
Je me souviendrai toujours de cet élève de grande section à qui j'avais prêté la tablette de la classe, qui avait filmé chez lui l'aquarium dans lequel son père élevait des crevettes (oui, des crevettes !).
Il deviendra peut-être un jour cinéaste animalier, qui sait.
Quand il était revenu en classe et avait partagé son petit film, la séance de langage qui s'en était suivie avait été extraordinaire.
Un peu plus de lecture
En 2014, pendant les vacances d'été, je m'étais fixé pour mission personnelle de RÉFLÉCHIR en profondeur au numérique à l'école.
J'étais sensible au thème, j'utilisais l'outil numérique dans ma classe, je voyais très bien la catastrophe que certains usages entraînaient, et je voulais aller au bout de ma réflexion et en sortir avec quelques règles simples.
J'en avais fait une série d'articles que je vous engage à lire, vraiment. Je n'en changerais pas un seul mot, surtout dans ma conclusion sous la forme de trois “règles d'or”.
Ils sont ici :
Première partie : la molécule du bonheur
Deuxième partie : le côté obscur de la force
Troisième partie : “c'est une révolution”
Quatrième partie : dans ma classe
Voilà, j'avais promis de faire court, je m'arrête ici !
Bonjour Michel .Tout d’abord je précise que j’ai lu le livre de Michel Desmurget en entier avant le premier confinement. Globalement ,je pense qu’il fait une très bonne analyse de la situation (très documenté) . J’ai donc refusé cette année de travailler sur les ordinateurs et autres tablettes avec mes élèves (les trois sections de maternelle)).Je n’utiliserai les tablettes que pour faire des photos…
Desmurget précise bien qu’il utilise le numérique en tant qu’adulte pour son travail et autre…C’est sur le cerveau des enfants et des adolescents qu’il y a danger … En le numérique soit disant ” pédagogique” est le plus dangereux. Ce n’est pas à un algorithme d’apprendre à lire ,à écrire et bien d’autres choses aux petits humains mais aux humains eux même (qu’ils soient parents ,enseignants…).Et j’avoue avoir très peur qu’à l’avenir ce ne soit plus le cas car le numérique serait beaucoup plus économique .Le numérique est un énorme outil mais pour les adultes et un énorme danger aussi … Donc ce serait bien qu’un débat soit ouvert… Ca commence et c’est très bien grâce à des livres comme celui de Desmurget . Et je te remercie Michel d’avoir écrit cet article. J’ai lu un autre livre intéressant sur le sujet (La civilisation du poisson rouge de Bruno Patino) et un livre passionnant sur le thème des algorithmes et du digital (de l’autre coté de la machine de Aurelie Jean) .Donc merci Michel et bon mercredi .Marie-Claude
Bonjour Marie-Claude
Je ne suis pas foncièrement en opposition avec Michel Desmurget, mais je pose une simple question : qui va apprendre aux enfants à utiliser de manière “non toxique” l’outil numérique ?
Les familles, les parents ?
Pour une petite minorité, oui.
Mais quand je vois autour de moi des parents (et pas uniquement de milieux défavorisés, loin de là) totalement incapables de contrôler leur enfant dès qu’un écran se pointe…
Et quand je vois comment mes élèves de grande section entraient dans les usages “intelligents” de l’iPad, par exemple, quand j’avais ma classe…
Je me dis que la seule solution réside dans l’éducation. Supprimer les écrans des jeunes enfants n’aura que peu d’effet quand, devenus ados, ils “plongeront” la tête la première dans Facebook et les jeux vidéo addictifs.
Et qui est en charge de l’éducation ? C’est l’école.
Et je pense qu’effectivement, du côté de la hiérarchie, la dimension toxique des mauvais usages du numérique n’est pas perçue comme elle devrait l’être.
Une formation réelle des enseignants dans ce sens est nécessaire.
Et comme je le dis en conclusion des articles que je cite ci-dessus, l’outil numérique ne doit surtout pas remplacer les outils physiques, la manipulation sous toutes ses formes.
Quand j’étais un jeune enseignant, j’ai fait un stage à l’école normale. Le prof utilisait le CUTTER avec des élèves de maternelle. Il leur apprenait à s’en servir sans se couper.
Je me souviens également que quand j’étais moi-même élève en maternelle, je manipulait en classe un poinçon effilé. je ne me suis jamais blessé : l’enseignante m’avait appris à l’utiliser.
Pour le numérique, c’est pareil.
Mon avis, c’est que nous n’avons simplement pas le choix…
D’accord Michel un moment ou l’autre l’école doit s’intéresser au numérique .Mais à mon avis pas avant le collège quand le besoin s’en fait ressentir(chercher des infos ,préparer un exposé…) Mais pourquoi devancer des besoins? En sachant que le numérique est extrêmement addictif pour tout le monde (enfants et adultes).J’ai vu dans la salle d’attente chez mon médecin un enfant d’à peine plus d’un an faire une colère quand sa mère a rangé son portable …De plus les outils numériques évoluent sans arrêt et sont vraiment de plus en plus simples d’accès .Le mot utilisé par l’industrie du numérique est “convivial “je crois… Tout un poème… Un enfant de deux ans est capable de les utiliser sans l’aide de l’adulte…Ca me pose question… Cela me fait peur…Et je ne sais pas que penser et j’aimerais vraiment un débat sur la question …Marie -Claude
Je pense que dans le doute, il faut s’abstenir. Et tu as raison de le faire si c’est ton ressenti profond.
Mais quand on maîtrise, il ne faut pas hésiter et avancer.
Nous n’avons pas le choix : l’épisode de l’enfant qui pique une crise pour utiliser le téléphone de sa mère, je l’ai déjà vu 100 fois. J’ai également vu plein d’enfants jeunes piquer des crises dans les supermarchés et les magasins de jouets 🙂
La mère n’a pas été éduquée. Personne ne lui a appris. Elle est désemparée.
Il faut avoir conscience du côté sombre de cette technologie, mais il ne faut pas oublier son côté lumineux, extrêmement positif quand on sait ce qu’on fait. Tout est une question d’éducation.
As-tu suivi les liens que je cite en bas de l’article ?
Oui Michel j ai lu les articles précédents que tu avais publié et je suis assez globalement d accord avec toi …j utilise aussi un blog pour les parents..je fais des photos numériques…mais je ne pense pas qu un gamin de 4 ans puisse apprendre avec les jeux soit disant ludo éducatif…et quand je parlais du petit dans la salle d attente c était pour dire que la maîtrise technique de l outil était tellement simple qu un enfant de 2 ans n avait pas besoin de l ecole pour la lui apprendre et cela sera de plus en plus simple..donc ,mais ce n est qu un avis je pense qu il vaut mieux retarder le numérique à l ecole au moment ou l enfant en aura réellement besoin.je pense comme toi que le numerique est une merveilleuse révolution pour démocratiser le savoir… j aimerais avoir d autres avis sur ce sujet d une grande importance pour moi…merci
Je te suggère de cliquer sur “catégories”, en haut à droite de cette page (si tu lis Tilekol sur un ordi) et de sélectionner “tablettes en maternelle”.
Tu trouveras une sélection d’articles parus ici-même qui te feront peut-être changer d’avis…
Je suis tout à fait d’accord avec ça. J’ai été interpellée par un de mes élèves de CE1 qui me disait que son dentiste a mis un écran TV au plafond pour occuper les patients…
Mais ce qui me parle plus dans tout ça c’est la phrase de Michel : Résister. Et là, je le cite : “Certes, résister n’est pas facile, mais c’est toujours possible ; beaucoup le font, notamment dans les milieux favorisés”. Que faisons-nous pour les milieux défavorisés qui n’ont peut-être même pas accès à cette possible résistance… c’est là tout l’enjeu de l’école.
Merci Michel de toujours nous questionner… pour continuer à réfléchir et à résister .??
Bonjour Marie-Jeanne,
Ce que tu cites n’est pas de moi, mais ce sont les mots de l’autre Michel, celui qui a écrit le livre.
C’est bien pour ça que j’ai pour ma part proposé la partie suivante : “Que faire ? (bis)”
Pour moi, il ne s’agit absolument pas de résister à un objet technologique (l’écran), mais de savoir ce qu’on en fait en classe pour former des utilisateurs éclairés.
Et ça passe bien entendu par la suppression impitoyable de nombreux “jeux éducatifs” et par la mise en avant d’autres usages bien plus formateurs, sans JAMAIS supprimer par exemple la gouache ou la pâte à modeler en maternelle, bien entendu !
Lire à ce sujet le passionnant thriller de Nicolas Beuglet “Le dernier message”
Je vais faire tout ça…bonne journée à tous
Bonjour
Je pense aussi que notre role d’enseignant est d’aider les enfants à utiliser ces outils et pour cela nous avons besoin d’etre formés et d’avoir des temps d’echanges pour en discuter( ce que nous n’avons guère il faut le dire!)sur ces outils qui ne restent en effet que des outils . J’ai lu Desmurget car j’ai vu les effets négatifs un temps sur mes ados et je me suis posée des questions sur l’usage du numériqueà l’école et en famille mais j’ai aussi appris avec les cotés positifs du numerique. Je pense aussi à ce que dit Olivier Houdé sur le mecanisme psychologique de savoir “résister” pour apprendre de nouvelles choses et je pense que le numérique est à ce titre bien un domaine où l’enfant doit aussi apprendre à résister pour apprendre et nous aussi!!(cf ton article sur la dopamine très juste) . Je suis instit en maternelle et j’utilise book creator pour créer des livres numeriques et la fonction photo de tablette uniquement le reste me parait en effet bonbon numerique inutile car je privilegie les manipulations physiques .Merci d’en parler en tous cas . Bonne journée