Incroyable mais vrai : voilà bientôt deux ans que je suis à la retraite. Le moment de faire un petit bilan, qui vous sera peut-être utile si, à votre tour, vous accédez cette année à cette étape très spéciale de votre carrière… et de votre vie.

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Quant à vous, les plus jeunes qui passez par là, n’oubliez pas qu’en ce moment-même, vous êtes en train de prendre de l’âge à toute vitesse. Venez lire l’article, il vous sera peut-être utile, qui sait.

C’est une fois de plus le message d’une lectrice qui m’a donné envie de faire le point sur ma Jubilacion… Le voici :

“Je serai en retraite dans quelques semaines …
J’ai fait le choix de demander ma retraite mais malgré tout c’est difficile de dire adieu à ce métier auquel on a tant donné…
J’aimerais avoir votre témoignage et pourquoi pas celle de vos lecteurs.
Peut être un nouveau sujet de discussion ?”

Pour parler de la retraite, soit on reste assez vague, soit on raconte sa vie. Je vais essayer de me placer entre les deux (c’est vrai, quoi, je ne vais tout de même pas vous raconter toute ma vie privée…). Mais concernant un sujet aussi particulier, vous me permettrez de me lâcher un peu…

Les deux vilains mots

Deux mots sont insupportables : « vieux » et « retraite ».

Tout d’abord, évacuons une bonne fois pour toutes le « détail » de l’âge.

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J’ai 58 ans, j’aurai 59 ans dans environ 3 semaines, et donc, voilà bientôt 39 ans que j’ai 20 ans. Vieux, moi ? Jamais !

Grrr, je déteste autant le mot « vieux » que celui de « retraite ». Parce qu’ils sont FAUX tous les deux. Nan, j’suis pas vieux. Un peu vintage, parfois, OK, je l’admets, quand j'écoute Led Zep ou AC/DC avec le volume à fond. Mais dans ma tête, rien n'a changé ! RIEN !

La vieillesse n’est pas un curseur de type « ON-OFF », c’est un potentiomètre à avancée lente et progressive. NON, la personnalité ne change pas en prenant de l’âge, et d’ailleurs, Georges Brassens (un chanteur de l’ancien temps, vous savez, quand les gens vivaient en noir et blanc) le chantait fort bien dans sa chanson « Le temps ne fait rien à l’affaire ».

Quant au mot « retraite », il ne correspond absolument pas à mon état actuel, comme vous allez le voir.

La première année

La première année a été difficile, mais pas pour ce que vous croyez.

Habituellement, on entend des remarques du style « oh, depuis que je suis à la retraite, je tourne en rond, je m’ennuiiiie ! ».

La dernière fois où je me suis ennuyé, je devais avoir quatre ans, et je ne m’en souviens plus (alors que c’était hier, ha ha ha).

Non. La première année, j’étais en SURCHAUFFE totale. Avec le recul, j’ai peut-être une explication : j’étais tellement extatique d’avoir cet espace de liberté qui s’ouvrait subitement devant moi que je voulais TOUT faire, TOUT ce que je n’avais pas le temps de faire avant. Pas uniquement les bonnes choses, mais aussi tout ce qui demandait de l’attention depuis bien trop longtemps : papiers divers, rangement, jardin, etc…

J’étais dans l’action du matin au soir, avec le sentiment que rien n’avançait, que la pile de papiers à ranger ne diminuait pas, qu’il fallait que je me dépêche d’aller à la salle de gym parce qu’après j’avais un article de Tilékol à écrire, que le jardin était en vrac, et mille autre détails fort importants, comme vous le constatez. J’étais affamé d’action. J’étais épuisé d’agir.

Ça a duré environ un an.

Et un beau jour, pof, tout s’est calmé. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien. Une mystérieuse alchimie s’était produite quelque part dans ma cervelle d’hyperactif, et le calme a succédé à la tempête.

Non pas que j’aie fini par tout faire, tout terminer, tout accomplir, loin de là. Mais j’ai peut-être compris que de toutes manières, je n’y arriverai jamais. J’ai baissé la barre de plusieurs crans. Pas le temps de ranger cette pile de papiers ? Je la rangerai plus tard. Pas l’énergie d’écrire l’article du mercredi de Tilékol ? Je l’écrirai la semaine prochaine… Le contraire de la procrastination : le lâcher prise…

La deuxième année

La deuxième année a été nettement plus agréable, quoi que très bien remplie également.

Tout d’abord, à mon grand étonnement, parce que ce n’était absolument pas prévu, je me suis mis à peindre. Non pas les murs et le plafond, mais des tableaux. D’abord abstraits, puis figuratifs. Puis je me suis plongé dans l’aquarelle.

Depuis quelques semaines (le passage à la troisième année, donc), j’en fais une occupation quotidienne. C’est un besoin qui vient de très loin, quelque chose de très profond. Un peu comme lorsque, dans un musée, je tombe nez à nez avec des peintures de Mirò, Picasso, Rothko, Basquiat, Kline, Van Gogh, Monet, De Stael… C’est un domaine où la logique s’efface, pour céder la place aux sensations pures.

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Je me dis que c’est un genre d’aboutissement, étant donné que j’ai toujours pratiqué la photo, le graphisme, et que j’ai été sérigraphe pendant 12 ans… Un besoin de pâte colorée qui s’étale, de formes qui surgissent, de main qui s'exprime de manière autonome…

Mais voilà que je m’égare, je pourrais parler de peinture ou de musique pendant des heures, reprenons le fil de cet article.

Le niveau de vie, les finances

Parmi les choses qui peuvent à juste titre inquiéter le néo-retraité, il y a l’aspect financier, avec la baisse des revenus, une retraite n’étant pas équivalente aux revenus qu’on touchait quand on travaillait…

Dans mon cas, c’est encore plus problématique.

Je vous raconte, ou pas ?

Allez, je vous raconte. Promis, je vais faire vite.

En plein milieu de ma vie d’enseignant, je me suis arrêté pendant une décennie pendant laquelle j’étais en disponibilité (invention assez extraordinaire). J’étais sérigraphe textile, j’imprimais des T-shirts. Eh oui, n’oubliez pas que je vis sous les tropiques… Donc, je cotisais pour le privé, pas pour le public.

J’ai ensuite repris le travail d’enseignant, j’ai quand même pu prendre ma retraite à 57 ans (ex-instit et bénéficiant de particularités règlementaires liées à l’Outre-mer), mais bien entendu, le montant de ma pension a été très largement amputé. Très très largement. Plus de la moitié.

Quant à ma pension du privé, je la toucherai dans des années, et elle sera ridicule, étant donné que je n’ai bossé dans ce cadre qu’une dizaine d’année.

Donc, j’avais le choix : soit j’attendais 5 ans (bientôt 7 ou 8) avant de pouvoir toucher ma retraite pleine, soit je la prenais quand même, en toute connaissance de cause.

Ce que j’ai fait.

Donc, et c’est ici que ma situation diffère de celle de la plupart des autres collègues, j’ai décidé d’avoir une activité professionnelle annexe. Disons que je suis un « retraité actif ».

Je suis auto-entrepreneur webmaster. Je m’occupe par exemple de la partie technique de la librairie électronique de Nanoug. Je monte des sites web, je m’amuse bien.

Je suis également inscrit comme « artiste pro », je me dis que la peinture abîme moins les yeux que les écrans d’ordinateurs et un peintre, un vrai, doit passer par la phase de la vente de ses oeuvres, sous peine de se retrouver envahi par ses toiles, ruiné par l’achat des chassis et des couleurs, et d’arrêter… Et quand je vois par exemple Pierre Soulages, un immense peintre, qui va fêter ses 100 ans cette année et qui est toujours actif, je me dis que la peinture peut se pratiquer sans limite d'âge. Tant mieux.

Mais attention, collègues ex-dinosaures – pardon, ex-instits – qui désireraient continuer à avoir une petite activité à 57 ans, encore jeune et frétillant.

Le décret qui tue

Parce que concernant le cumul emploi-retraite, vous allez devoir « faire avec » un obscur décret scélérat, particulièrement dans votre cas à vous, cas qui n'a semble-t-il pas été pris en compte au moment de la rédaction du texte en question.

Celui-ci stipule que vous (qui vous arrêtez avant 62 ans en toute légalité) avez le droit de travailler, mais :

  • Que vous devrez cotiser pour la retraite sur vos revenus, mais que ces cotisations ne vous permettront pas d’abonder vos points-retraite du privé. (Ce qui n’était pas le cas avant le décret en question)
  • Que vos revenus de cette activité seront plafonnés, et que le calcul de ce plafond est fait à partir du montant de votre pension actuelle. (Ce qui n’était pas le cas avant le décret en question)

Traduction : plus votre retraite est basse, moins vous avez le droit de gagner de sous, et vos cotisations-retraite que vous paierez sur ces sous ne vous serviront pas à vous.

Et si vous gagnez plus, on vous retire carrément la différence sur votre pension : c’est-y pas génial ?

Je le répète pour que ce soit bien clair : plus votre retraite est petite, moins vous avez le droit de travailler pour la compléter.

Inversement, plus votre retraite est importante, plus vous avez le droit d'avoir des revenus complémentaires conséquents.

C'est spécifique aux personnes qui prennent leur retraite avant l'âge universel de 62 ans.

Je ne sais pas qui a pondu ce décret, mais je lui enverrais bien The Punisher pour qu’il s’occupe de son cas. Si vous connaissez un ministre ou un président de la République, dites-lui de supprimer ce texte indigne, au nom de la plus élémentaire des équités, merci d’avance… Ou du moins de l’adapter à ceux qui ont le droit de prendre leur retraite avant 62 ans, genre les instits et ex-instits, espèce en voie de disparition.

J’ai d’ailleurs contacté l’Elysée à ce sujet (authentique) et j’ai reçu la réponse suivante du chef de cabinet du Président de la République :

« Le Président de la République a bien reçu le courrier que vous avez souhaité lui adresser et m’a confié le soin de vous répondre.

Soyez certain que vos réflexions concernant les retraités polypensionnés, qui participent d’une démarche d’échange et de dialogue, ont fait l’objet de la meilleure attention. »

Ça me fait une belle jambe. D'autant plus qu'un décret s'annule ou se modifie par un décret, donc que ça peut être réglé très rapidement, avec un peu de bonne volonté.

Bon, je ne me plains quand même pas trop, j’ai effectué en deux ans deux grands voyages, ce qui prouve que je ne suis pas le plus malheureux.

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Lorsque je parle de l'aspect financier à des personnes ayant pris leur retraite, elles me disent que grosso-modo, elles n’ont plus la capacité de faire des économies, mais que leur niveau de vie n’a pas trop baissé. Il est vrai que je ne m’achète plus le dernier iPhone chaque année, mais c’est encore supportable. Tant que j’ai une activité annexe. Après, on verra…

Rassurez-vous donc. Ou pas, selon votre situation…

Les points positifs

Le temps, bien entendu, le temps qui s’ouvre à vous, même si les journées, elles, ne durent toujours que 24 heures.

Voici quelques objets symboliques de ma retraite :

Le réveil : il était posé sur ma table de nuit depuis au moins 20 ans. Un truc à gros chiffres rouges. Le jour où j’ai pris la retraite, je l’ai délicatement débranché et balancé sans remords à la poubelle. Instant intensément libérateur. Certes, depuis longtemps, mon smartphone me servait de réveil, mais j’avais besoin d’une mesure symbolique.

Le bidule appelé Soundwear Companion : c’est un petit dispositif que vous placez sur vos épaules, autour de votre cou et qui est muni de deux haut-parleurs d’excellente qualité. Il vous permet d’écouter de la musique sans avoir de casque sur les oreilles, sans trop gêner le voisinage et en restant mobile. Je m’en sers principalement pour écouter des livres-audio pendant que je peins : c’est extraordinaire, je suis totalement dans ma bulle sensorielle. Par ailleurs, j’ai des comptes Spotify et Tidal, et je n’ai jamais autant écouté de musique…

L’iPad à grand écran : je suis fan de Youtube, mais je suis aussi abonné à des sites de tutoriels comme Skillshare ou Bluprint. Donc, cet iPad, c’est un peu mon école, mais je suis l’élève : je suis mes cours depuis ma cuisine, mon jardin, mon canapé, mon lit… Apprendre, encore et toujours, je n'arrêterai jamais. Depuis un bon moment, je n’ai même plus d’ordinateur portable, j’utilise mon iPad géant. D’ailleurs, j’écris en ce moment-même le présent article avec cet objet quasi-magique.

Les livres papier : fans de liseuse depuis des années, je retrouve du plaisir à lire des “vrais” livres. Je ne sais pas pourquoi. Je suppose que c'est parce que ce ne sont pas des objets hautement technologiques, que je les relie inconsciemment à la tranquillité, au plaisir tactile.

Mes pinceaux, tubes, chevalets, palettes : le symbole de la liberté. Il est clair, très clair, que je n’aurais jamais eu le temps de m’adonner à la peinture lorsque j’étais en activité.

Michel, tu oublies quelque chose.

Quoi donc ?

Ah, oui, l’école, l’enseignement, les élèves…

Ils doivent te manquer ?

Heu, comment dire… non.

Il me reste ce blog pour rester un petit peu en contact avec le milieu, mais j’avoue humblement que ma mémoire à long terme est en train de faire un grand ménage…

Là, désolé, je n'ai pas grand-chose à dire. Si ce n'est que chaque article que je publie ici est un plaisir que j'espère savourer longtemps !

Aussi je vais céder la parole à deux retraitées de mes amies, qui vont vous livrer à leur tour leur témoignage :

La retraite ! Ah la retraite !!!!

J’ai eu la chance, l’énorme chance de pouvoir la prendre tôt.

2011, changement des lois. Je peux prétendre à partir car j’ai 3 enfants et plus de 15 ans de service. J’ai 2 mois pour me décider. Ce n’était pas du tout prévu à mon programme mais au niveau financier ce n’était pas trop défavorable alors j’ai décidé de faire le grand saut !

Et c’est sans regret aucun. Même si j’adorais mon travail auprès des enfants de maternelle depuis 25 ans. Même si c’était un peu angoissant, étant plutôt du genre « prévoyante » …. Je me disais que j’aurais du temps pour peindre et faire des expos…

Et là, surprise !

Je suis contactée par ODMP Wilalex pour mettre en place un blog d’arts plastiques (Le tour de mes idées)… Puis j’ai découvert Tilékol, j’ai échangé avec Michel et cette rencontre a permis de mettre en place la librairie numérique où j’ai commencé à vendre mes tout premiers bouquins en version numérique…

C’est parti pour de nouvelles aventures, toujours en lien avec l’école maternelle et dans mon domaine de prédilection, les arts plastiques, et avec du temps pour créer et écrire de nouveaux bouquins.

Depuis, je ne me suis pas ennuyée une seconde. J’adore créer des outils pour les enseignants toujours en activité. Je partage mon temps entre mes différents blogs, l’écriture de nouveaux bouquins, les voyages, mes petites filles …

Bref une retraite bien remplie et un choix que je ne regrette pas du tout, surtout quand je vois la difficulté croissante du métier aujourd’hui…

Retraite rime pour moi avec épanouissement et non pas avec ennui …
C’est ce que je souhaite à celles et ceux qui vont basculer dans cette autre partie de leur vie prochainement !

Nanoug

Comment s'est passée la transition entre ma vie active et ma vie de retraitée ?

Bien, puisque je n'en ai pas eue du tout …

J'aimais mon travail et j'avais la chance et le privilège de travailler avec une équipe exceptionnelle. J'aurais pu partir plus tôt mais j'ai prolongé deux ans.

J'étais bien.

Et puis , sans aucun évènement déclencheur , je me suis dis : “ne fais pas l'année de trop” et j'ai pris la décision de partir avec sérénité.

Le jour de la rentrée qui a suivi mon départ j'ai ressenti un allègement soudain comme si une partie de mon cerveau s'était réinitialisé. Le poids des responsabilités de mon poste s'est symboliquement envolé mais j'ai eu la surprise de vraiment l'éprouver physiquement.

Rétrospectivement, ça m'a fait peur, je n'imaginais pas que mon travail prenait une telle place dans ma vie.

Ça m'a certainement aidé à me sentir bien dans mon nouveau statut de retraitée. Je n'ai jamais regretté ma vie professionnelle et j'apprécie tous les jours ma retraite.

Ghyslaine, ancienne enseignante et directrice d'école

Comme vous le constatez, chaque cas est un cas particulier, mais il y a quand même un point commun :

La retraite, c'est cool !

Voilà. je m'arrête là, parce que sinon l'article du mercredi sera publié un jeudi et fera 500 pages.

Vous, qui êtes à la retraite, apportez votre témoignage en commentaire !

Et vous, qui prenez la vôtre dans quelques jours, exprimez-vous aussi, et vous allez voir, c'est “que du bonheur !”