Je vous ai parlé dans un premier article du docteur Levine, médecin-chercheur de la clinique Mayo du Minnesota (USA) et de son livre, dans lequel il nous démontre, études scientifiques à l’appui, que la chaise est… notre ennemie. Je reviendrai un autre jour sur les dommages physiques causés par cet objet démoniaque (quoi que souvent si confortable).
Je voudrais aujourd’hui vous narrer deux passages de son bouquin, et pour cause : ils concernent l’école et les apprentissages.
La Maison Blanche au téléphone !
Un jour, James Levine a reçu un appel téléphonique de la Maison Blanche. Il commençait à être très connu pour ses études et ses prises de positions, et son interlocuteur lui a posé une question particulièrement intelligente : que comptait-il faire pour les enfants ?
Parce que c’est bien joli de clamer que la chaise est pire que le tabac et qu’elle joue entre autres un grand rôle dans l’épidémie d’obésité qui frappe les civilisations occidentales, encore faut-il explorer les pistes permettant de mettre à l’abri les jeunes générations de ce fléau muni de quatre pieds et d’un dossier…
Notre scientifique s’est mis au travail et il a contacté une école, plus particulièrement les enfants et professeurs de classes de ” fifth grade ” (ce qui correspond plus ou moins au CM2 ou à la sixième chez nous.
Des élèves enthousiastes et imaginatifs
Il a expliqué aux enfants la situation, et ceux-ci on non seulement compris les enjeux mais ont fait preuve d’une imagination extraordinaire pour supprimer les chaises de l’école.
Par exemple, une petite fille a eu l’idée de créer un « bureau-debout », sur roues ! Petit à petit, les idées se sont accumulées, à un point tel que, comme le dit James Levine, les élèves ont réinventé non seulement la classe, mais carrément l’école !
Et ils ont construit la classe du futur : pas de chaise, un sol dans le même matériau que celui des patinoires synthétiques (ne me demandez pas pourquoi : certainement “pour le fun”), des pupitres individuels surélevés et inclinés, des ordinateurs portables (à cette époque, en 2006, les tablettes n’existaient pas encore), des appareils audio de type iPod, et une sonorisation sophistiquée permettant au professeur d’être entendu confortablement dans tous les coins du vaste espace-classe, qui ressemblait d'ailleurs à un gymnase…
Et des résultats tangibles
Les élèves pouvaient évoluer à leur guise, changer de position, se lever, s’asseoir par terre. Je vois d’ici certains d’entre vous lever les yeux au ciel… Bien entendu, certains enseignants de cette école ont fait de même.
Mais leur opinion a évolué en observant leurs élèves. Ils les ont trouvé nettement moins distraits, plus concentrés sur leurs apprentissages. Les éléments perturbateurs se retrouvaient seuls, parce que tout simplement ceux qui se trouvaient à proximité changeaient d’endroit pour ne pas être distraits. Il y avait nettement moins de demandes pour aller aux toilettes. Les élèves se sentaient bien, tout simplement.
Et les parents ? Ils étaient enchantés de voir leurs enfants heureux et pressés d’aller à l’école le matin !
Une élève souffrant de troubles de déficit de l’attention avec hyperactivité a cessé de prendre ses médicaments au bout de deux semaines.
Le Dr Levine est allé plus loin : il a muni les élèves de petits capteurs de mouvements, et il a constaté que leur niveau d’activité (leurs déplacements) était du double de celui des classes traditionnelles.
Et à la fin de l’année, le niveau global des évaluations était de 10 à 20% au-dessus du niveau moyen habituel…
Bien entendu, il faut garder l’esprit ouvert : l’enseignement aux USA est bien différent de celui qui est prodigué en France, et il nous faut faire un petit effort pour imaginer ce que tout ceci donnerait dans nos écoles. Mais le mot-clé est “bouger”.
Rester assis ne va pas de soi
Finalement, le challenge n’est pas si insurmontable : il « suffit » de supprimer les chaises, d’avoir des tables surélevées et mobiles, et de permettre aux enfants de se mettre dans la position qui leur convient le mieux au moment où ils en ont envie.
Les enseignants de maternelle et les parents de jeunes enfants connaissent bien cette attirance des jeunes humains pour les positions qui seraient un peu acrobatiques aux adultes : s’accroupir dans un coin, se mettre à quatre pattes pour empiler des cubes, voire se coucher sur le ventre pour dessiner…
A quoi ressemble cette “école du futur” ?
Bien entendu, j'ai cherché sur Internet des images de cette école et de celle dont je parle plus bas dans l'article. J'en ai trouvé très peu. J'ai envoyé un mail à James Levine, il ne m'a pas (pas encore, soyons optimistes) répondu.
Vous pourrez voir quelques photos dans un document PDF diffusé par la clinique Mayo, cliquez ici. Quelques rares images également ici.
J'ai quand même fini par trouver une vidéo intéressante. Elle est proposée par un fabricant de matériels mobiles, Ergotron, et on y voit une classe entièrement équipée de bureaux individuels réglables en hauteur et montés sur roulettes. Avec une tablette pour chaque élève 🙂
Franchement, ce pupitre mobile me fait envie. Imaginez pouvoir changer la disposition d'une classe en quelques secondes ! Et en étant debout, on est vraiment dans une disposition d'esprit dynamique. Voilà des élèves qui ne sont pas “formatés pour être assis” dès leur plus jeune âge !
…Et en maternelle ?
Les jeunes enfants, parlons-en, justement : notre super-docteur a également travaillé à équiper une école accueillant l’équivalent des grandes sections, à la demande d’un parent enthousiaste et ultra-motivé, et qui probablement avait également le bras long…
Là, l’approche a été différente et plus « réaliste » : chercheurs et enseignants ont modifié une salle de l’école, un peu comme nous le ferions pour une salle de motricité. Et chaque classe y passe un moment, une ou deux fois par jour. Mais la différence avec les salles de motricité, c'est que cette salle est destinée aux apprentissages fondamentaux, et pas uniquement au sport.
Avec un budget modeste (500 dollars), l’équipe menée par James Levine a construit des équipements en bois, comme des murs d’escalade inclinés ou des « tableaux mathématiques » dans lesquels les enfants sautent de chiffre en chiffre et de case en case et toute une série d’autres équipement similaires.
Là aussi, des capteurs d’activité ont été installés sur les élèves, et les résultats ont montré un fort accroissement des déplacements pendant les séances de 45 minutes effectuées dans cette classe. Et les enfants restaient plus actifs pendant tout le reste de la journée, et même pendant les 36 heures qui suivaient !
Lorsque les enfants bougent leur corps, leur esprit bouge aussi
Et de nouveau, il a été constaté que les niveaux des élèves se sont améliorés. J’aime beaucoup une phrase de l’auteur : « If kids move their bodies, their minds move too » ( « Lorsque les enfants bougent leur corps, leur esprit bouge aussi » )
Au bout de 10 ans de recherche, les conclusions de l’auteur sont les suivantes :
- Si vous donnez aux enfants l’opportunité de bouger, ils bougeront.
- Quand les élèves bougent plus, leurs résultats scolaires s’améliorent.
- Plus vous bougez, plus vous apprenez.
- Les enfants qui bougent sont plus heureux et moins stressés.
- Le comportement des élèves est meilleur dans les classes actives.
- Les enfants qui bougent plus sont plus créatifs.
Vous me direz, certains courants pédagogiques que je ne nommerai pas prônent au moins en partie des classes laissant les enfants libres de leurs mouvements et du choix de leurs activités. En maternelle, de nombreux enseignants sont convaincus que c’est en bougeant son corps qu’on assimile le mieux le graphisme et le tracé des lettres, entre autres.
Bouger pour apprendre
Mais là, nous avons affaire à un concept légèrement différent, qui va plus loin, et qui dit que tout simplement, on apprend mieux en bougeant.
D’ailleurs, peut-être faites-vous machinalement « les 100 pas » lorsque vous avez un problème à résoudre ou que vous voulez réfléchir sur un sujet délicat . Ce n’est pas un défaut agaçant, c’est simplement le cerveau qui réclame un mouvement du corps.
Voilà. c’est la fin de la deuxième partie de la saga de l’anti-chaise, et nous reviendrons sur ce thème, mais peut-être pas tout de suite, pour ne pas lasser certains d’entre vous.
La troisième partie donnera des précisions sur la nocivité de la station assise et croyez-moi, après l’avoir lu, vous regarderez votre canapé moelleux d’un oeil méfiant…
Allez je lance une expérience !
Ce matin ( on travaille le samedi) j’ai enlevé 8 chaises.
Dans ma classe de TPS/PS j’ai une grande table trop haute pour les enfants et je passe mon temps à leur dire “asseyez vous vous serez mieux”Or pour construire, peindre, jouer à un jeu de société, faire un puzzle on n’a pas besoin d’être assis.
Lundi je commence l’expérience avec un atelier debout. A suivre donc.
Merci Michel pour cette réflexion.
Alors, dix jours plus tard, où en est l’expérience ?
Super idée !!! Je l’utilise beaucoup mais il me manque les roulettes sous les tables et des bureaux réglables en hauteur.
Alors oui, ça me séduit : on voit tellement de gamins en classe qui ont la bougeotte, qu’évidemment, si on ne les vissait pas à leur chaise, ils se sentiraient mieux. Du reste j’ai toujours été cool là-dessus.
j’ai aussi envie d’essayer pour moi, de travailler debout.
cependant, il faut savoir qu’aux Etats-Unis ils n’ont pas la culture du cahier,
et qu’il y a un petit côté biaisé dans cette idée du geste pour apprendre, puisque pour eux, le moins on écrit, le mieux on se porte.
d’autre part, ils n’ont pas de récré : c’est non stop de 8h00 à 16h00 avec à peine 30 minutes de pause déjeuner, et quand je dis pause, faut déduire les toilettes, et quand je dis déjeuner… Tout est en silence aussi. Donc, le mouvement en classe, c’est carrément la soupape de sécurité.
Enfin, perso, tout ce qui vient de la clinique Mayo (inventeur d’un très fameux régime dans les années 70) me fait un peu froid dans le dos… Ils ont toujours des preuves de tout ce qu’ils avancent…
Hello Coline
Il semble bien que le régime Mayo des années 70-80 n’ait absolument rien à voir avec la clinique Mayo. C’est du moins ce qui est déclaré sur le site web de cette clinique. Néanmoins, comme elle traite l’obésité de ses patients, elle a développé en 2010 un “régime Mayo” basé sur le long terme. Et qui n’est pas à base de mayonnaise 🙂
Tu a raison d’employer l’expression “vissé à sa chaise” : les enfants ont raison eux aussi. D’ailleurs, la position assise prolongée est une invention très récente dans l’histoire de l’humanité (elle date de la révolution industrielle). Elle nous paraît naturelle parce que nous sommes “nés dedans”, mais elle est très nocive. Je vous en reparle très bientôt.
Quant aux différences entre l’école américaine et l’école française, elles sont très nombreuses, bien entendu. Mais le mouvement en classe n’est pas qu’une soupape, c’est la privation de mouvement qui est une torture !
En fait, j’ai rien contre, la preuve c’est que j’ai essayé.
Mais je me méfie des emballements de toute sorte, notamment américains…
A propos de “visser”, une image mentale forte, d’un remplacement il y a quelques années. J’arrive chez des CE1,
et il y avait un gamin un peu gigotant.
Les autres me disent de lui jeter directement des craies dessus…(comme le maître).
Gloups..
Mais surtout, ce qui m’est resté : son pot à crayon était collé sur la table, parce qu’il y touchait tout le temps.
Là, j’avoue, je me suis demandée si j’allais rester enseignante…
Pis aussi, tous les mômes qui écrivent debout, une jambe pliée sur le siège…
Bonjour,
C’est la 3ème année que je fonctionne sans (presque) aucune chaise en TPS – PS et ça se passe très bien. Au début, c’est difficile. On a tellement l’image ancrée des élèves assis sur une chaise qu’il faut apprendre à accepter tout ce mouvement mais il faut établir des règles (notamment ne pas courir dans la classe car ça devient tentant). Maintenant j’y suis habituée et les élèves aussi. S’ils bougent plus, ce n’est pas de façon désordonnée ou injustifiée, ils vont chercher un jeu, du matériel ou le ranger, vont discuter avec un camarade ou demandent de l’aide…Malgré cette vision du mouvement, c’est calme. Je laisse cependant à disposition 5 chaises car parfois certains préfèrent faire telle ou telle activité assis, ou simplement pour se reposer 2 minutes et recharger les batteries.
ça c’est sûr qu’en PS, je me suis toujours demandée à quoi servent les fiches et les chaises…
Bon,
comme j’avais tiré le plus grand bénéfice de l’adoption du bullet journal,
aujourd’hui j’ai testé “travailler debout”
et j’ai bien aimé,
d’autant plus que j’ai utilisé un large rebord de fenêtre, pile poil à la bonne hauteur, qui donne sur le jardin…
C’est surtout très appréciable pour tout ce qui est à l’ordi.
Il y a d’autres gestes pour lesquels j’aurai besoin d’être assise.
Ce que j’ai bien apprécié, c’est de me déplacer librement (sans me relever ni m’asseoir ou patiner sur les roulettes) pour chercher des trucs, ranger des papiers…
Je fonctionne aussi très souvent sans chaise durant mes ateliers avec mes PS, Depuis 2 ans.
Et j’avoue que j’ai moins à redire sur le bruit ambiant de la classe. Je n’ai plus le bruit des chaises qu’on pousse. Et le fait que les enfants se déplacent est moins gênant, moins visible. J’ai constaté aussi moins d’énervement de la part des élèves.
C’est plus fort que moi, je déteste voir mes élèves se promener partout sans autorisation, et pourtant j’ai bien conscience qu’un peu de mouvement ne ferait pas de mal. Merci pour cet article qui me rappelle que je dois garder ça en tête et mettre un peu de mouvement dans la classe. Reste à trouver les modalités qui feront que mes élèves en profiteront sans en abuser (c’est bizarre ce sont toujours les mêmes qui ont besoin d’un mouchoir, d’un stylo, d’une gomme, de ramasser leur trousse…).