Aujourd’hui, je vais vous raconter une histoire. Non, deux. Non, trois. Toutes liées. Avec comme ingrédients principaux une tortue marine, de grosses moustaches, une guitare, un appareil photo et un brin de nostalgie en prime.

.
.

Et aussi une histoire de temps qui passe, et à toute vitesse.

Faisons simple, adoptons l’ordre chronologique.

Première partie : Marseille

.

Saint-Barnabé

Années 1983 -1985, Marseille, quartier de Saint-Barnabé, « Maison des jeunes et de la culture » (quand vous arrivez à la place de l’église, vous prenez la petite rue à droite et vous y êtes).

Je ne sais pas si cet endroit existe encore, il a certainement changé de nom, mais c’était un bâtiment bien sympathique.

Quand j’étais ado, j’y prenais des cours de judo.

Puis, quelques années plus tard, j’y suis retourné, attiré par son « club photo » : nous étions quelques passionnés qui nous retrouvions un soir par semaine pour échanger des conseils techniques, pour montrer nos créations, pour le plaisir d’être ensemble et partager une passion commune.

Il y avait aussi une chambre noire avec un agrandisseur, des cuvettes, une ampoule rouge et des produits chimiques servant à développer les photos.

Eh oui, à cette époque les images numériques n’existaient pas, les smartphones non plus, (Internet non plus) et on glissait dans l’appareil photo un film permettant de prendre 12, 24 ou 36 images, pas plus !

De temps à autre, l’un de nous exposait ses œuvres dans la grande salle.

Sympa !

Je me souviens en particulier d’une exposition sur le thème des villages des Corbières, réalisée par Pierre, un instit à grosses moustaches, qui avait eu la bonne idée de proposer une expo « sensorielle », puisqu’outre les belles images en noir et blanc, il nous faisait déguster du fromage et du vin des Corbières.

Pierre avait d’autres talents : outre la photo, il était aussi chanteur, guitare en bandoulière et textes très engagés. La mièvrerie, c’était pas son truc.

Pas pour débutant

Pierre était enseignant, dans un gros groupe scolaire d’un quartier très particulier de Marseille : de grandes barres d’immeubles, une population qu’on pouvait qualifier de défavorisée, une école qui était un peu celle de la première et dernière chance pour les enfants qui ne demandaient qu’à vivre, apprendre, grandir, rire.

A cette époque, j’étais un jeune enseignant (recruté au concours « DEUG » de 1982). J’étais ZIL et j’ai effectué plusieurs remplacements dans les écoles de ce quartier où le béton côtoyait les pins et les cyprès.

Pour moi, c’était très difficile. Il y avait un contraste saisissant :

D’un côté, certains élèves durs, très durs. Certains parents durs, très durs. Je me souviens d’un père à qui j’avais dit naïvement que son fils avait quelques lacunes : il m’avait carrément menacé de mort, tranquillement, dans le couloir, devant la salle de classe.

Ce n'était certainement pas une école pour débutant.

D’un autre côté, des enseignants totalement impliqués, accomplissant au quotidien de véritables exploits, ne perdant pas courage, transformant leurs salles de classe en lieux paisibles, protégés, protecteurs, utiles. Pour un jeune enseignant comme moi, c’était quand même une grande leçon. Ces gens-là connaissaient leur métier.

Dans cette ambiance, Pierre était à son aise. Près des démunis, vivant son combat politique, s’impliquant, changeant concrètement les choses. Il aimait ce quartier et cette école.

Je ne sais pas si les choses ont changé depuis. Je ne suis jamais repassé dans le coin.

Et un beau jour de 1985, j’ai été muté à la Réunion.

Deuxième partie : Lili la Tortue

Voilà 35 ans que je vis dans cette île magique, située dans un lieu improbable, en plein milieu de l’Océan Indien, fruit d’une histoire insolite ayant abouti à un métissage humain extraordinaire, étant donné que depuis 1663, date à laquelle les premiers habitants s’y sont installés (l’île était auparavant vierge de toute population humaine), des vagues de peuplement s’y sont succédées…

Français et malgaches, puis africains, indiens, chinois, tous s’y sont retrouvés (parfois dans des circonstances tragiques) et ont créé au fil du temps la plus belle population qui soit, avec une forte culture commune et le plaisir de vivre ensemble.

Mais je m’égare…

En 2013, j’enseigne en maternelle, à l’école Eugène Dayot, un lieu fort sympathique avec des élèves adorables et des parents gentils comme tout.

Nous avions fait une sortie pédagogique à « Kelonia », une ferme aquacole qui recueille et soigne les tortues marines.

Mes élèves avaient particulièrement remarqué une tortue à laquelle il manquait une nageoire, probablement emportée par une hélice de bateau.

C’était un grand sujet de conversation en classe, et nous avions décidé de raconter en images l’histoire imaginaire de Lili la tortue.

Les élèves s’étaient dépassés, et le résultat était vraiment beau.

A ce sujet, pour parler un peu « technique », je vous garantis que c’étaient bien mes élèves de grande section qui avaient réalisé les illustrations. Pour cela, ils avaient peint de grandes feuilles de papier à dessin, et ils avaient découpé les différents éléments du corps de la tortue.

Ensuite, ces éléments étaient collés sur une grande feuille.

.
.

Le résultat était vraiment réussi, et j’avais ensuite pris en photo chaque planche et créé un petit livre.

Puis, j’avais eu l’idée d’en faire un fichier PDF et de le mettre en ligne sur Calameo, pour en faire un petit livre en ligne.

Et bien entendu, j’avais partagé tout ça sur Tilékol.

Vous pouvez télécharger l'histoire de Lili en PDF en cliquant ici. Vous obtiendrez deux fichiers : “L'histoire de Lili”, une page par feuille, et “Lili3” qui vous permettra de créer le livret au format A5, les pages étant pré-assemblées.

Mais vous vous demandez quel est le lien entre l’histoire « Marseille » et notre Lili…
J’y viens, dans la troisième partie de cette saga à suspense.

Troisième partie : 30 ans après.

Un matin de 2015, en relevant mes courriels, je tombe sur ce message :

“A L'ATTENTION DE MICHEL, l'histoire écrite avec votre/ta classe j'en ai fait un “film” sonorisé sur DAILYMOTION … Je ne sais pas si vous êtes – si tu es – le Michel que j'ai connu à [Marseille] mais voilà je vous/te fais passer ce petit document.
Amicalement,
Pierre”

C’était Pierre, l’instit à moustache à la Brassens de ma jeunesse, qui m’avait recherché sur le web, qui était tombé sur Tilékol, qui avait créé une petite vidéo dont je vais vous parler dans un instant et qui m’avait contacté !

Le plus extraordinaire – je vous garantis que c’est vrai, ça s’appelle une synchronicité – c’est que quelques jours auparavant, son nom m’était revenu à l’esprit, j’avais moi-même effectué une recherche et je l’avais retrouvé sur Dailymotion, guitare en bandoulière, chantant dans les rues, en soutien aux prisonniers politiques basques, au festival des Luttes Populaires ou pour les sans-papiers… Ah, tu n’avais pas changé d’un poil de moustache, Pierre !

La bande-son de la vidéo (les images étaient celles de mon petit livre sur Camaleo) est touchante : un choeur d’enfants sur une musique d’orgue de barbarie.

.
.

Les enfants étaient ceux de l’école de Pierre !

Les élèves de CP de Mme C…

Ils avaient enregistré un disque, un vrai, avec le chanteur Jean-Marc Le Bihan.

La chanson s’appelle « Ritournelle ».

Ritournelle extraordinaire

Ritournelle manivelle

Ritournelle imaginaire

Ritournelle de Pierre

Ritournelle de Pierre

Voyage dans l'imaginaire

Voyage en orgue de Barbarie

J’avais répondu à Pierre, lui disant que j’allais partager cette vidéo sur le blog, puis… j’ai oublié.

Il faut dire que c’était une période où j’étais, comment dire… un peu débordé de tous les côtés. Mais ce n’est pas une excuse.

L’histoire n’est pas finie.

Il y a trois jours, je reçois, toujours sur ma messagerie, les meilleurs voeux de bonne année, qui m’étaient envoyés par… Pierre. Tiens, Pierre, coucou, bonne année !

Je lui réponds, et, un peu par hasard, je tombe sur son message, celui où il m’envoyait le lien vers la vidéo de Lili.

Et là, j’ai un choc : il datait de 2015, il y a six ans.

Six ans !

Dans mon esprit, c’était récent, datait de quelques mois seulement…

Mais six ans de plus étaient passés…

Là, je me suis collé (mentalement) un coup de règle sur les doigts, et j’ai promis à Pierre que j’allais vous présenter sa vidéo, et par la même occasion, vous raconter cette histoire de tortue, de copain à moustache et de temps qui passe…



NB : Dans une première version de cet article, je citais le nom de “l'école difficile” où j'avais tant souffert lors de mes débuts d'enseignant. A la réflexion, j'ai décidé de supprimer son nom et sa photo de l'article, pour ne pas désigner de manière péjorative un quartier, une école, une population. Après tout, c'était il y a 35 ans… Restons positifs !