Notre-Dame de Paris a brûlé. Pas entièrement. C'était un accident, semble-t-il. On va la reconstruire, elle sera de nouveau pimpante, malgré ses mille ans d'âge. C'est une question de temps, de moyens, et aussi de deux ingrédients absolument indissociables : les mains et le cerveau.
Pourquoi les mains sont-elles si souvent oubliées, y compris à l'école ? Pourquoi les métiers “intellectuels” ont-ils autant la côte dans les souhaits des lycéens ? Pourquoi l'apprentissage est-il trop souvent considéré comme une voie de garage ? C'est un grand mystère, parce que sans les mains, le cerveau est incomplet. Pas de mains, pas de cathédrale. Dommage.
Il y a quelques années, j'ai mis entre parenthèse mon métier d'enseignant pour me lancer dans une activité manuelle, par pur plaisir, par envie de voir autre chose, de créer, de fabriquer, d'entreprendre. On n'a qu'une vie (ou on oublie les autres), autant bien la remplir.
Pendant une décennie (quand même), j'ai été sérigraphe textile. Traduction : j'imprimais des T-shirts. Ça a commencé dans un minuscule atelier manuel, ça a continué par un déménagement dans une zone d'activité, l'installation de grosses machines électro-pneumatiques, d'outils divers et variés, d'ordinateurs, de machines numériques, etc… Cet atelier était une ruche vrombissante.
Je ne vais pas ici vous parler de l'aspect administratif, humain, de gestion financière ou de stress (énorme !) mais d'une découverte qui m'a marqué à vie.
La découverte de la parfaite adéquation entre le cerveau et les mains.
Et surtout, la découverte qu'un métier manuel fait également fonctionner le cerveau, et pas qu'un peu !
J'ai découvert une harmonie totale du corps et de l'esprit. Et j'ai compris pourquoi l'homme préhistorique a pris le dessus sur tout le règne animal, végétal, minéral : parce qu'il faisait fonctionner son cerveau ET ses mains, qui sont des outils magiques.
Je ne vais pas me lancer dans une diatribe anti-système, en comparant la France et l'Allemagne, par exemple (Pour information : Allemagne, 1,3 millions d'apprentis; France : 420 000 apprentis. Allemagne : taux de chômage des jeunes trois fois moindre qu'en France).
Non, pas du tout, je vais juste vous parler de plaisir.
Cerveau + mains = plaisir
Revenons à la petite zone industrielle où j'avais mon atelier. De l'autre côté de la rue, il y avait une entreprise de menuiserie tenue par des Compagnons du Devoir (oui, ceux qui construisent des cathédrales, entre autres). J'y voyais des jeunes heureux de venir travailler, de se servir de leurs mains mais aussi d'une grosse machine à commande numérique dernier cri.
Un peu plus loin, un atelier de mécanique, avec des fraiseurs, des ajusteurs, qui travaillaient au micron près sur leur machine avec une fierté non dissimulée. Croyez-vous que leur cerveau ne travaillait pas alors qu'ils usinaient leurs pièces avec une précision extrême ?
A deux pas, une entreprise spécialisée dans l'aménagement de locaux et les constructions spécialisées. Par exemple, ils refaisaient toute une agence bancaire, du sol au faux-plafond, en passant par les cloisons, l'électricité, la décoration, etc… Le bonheur se lisait sur leur visage quand ils concevaient les aménagement, quand ils les préparaient dans leur atelier, et quand ils livraient leur chantier. Le plaisir du travail concret et bien fait.
Je ne vais pas ici passer en revue toutes les entreprises qui étaient installées dans cette zone, mais je peux vous dire qu'à midi, quand tout ce petit monde se retrouvait au restaurant qui nous servait de cantine, il y avait de la joie, de la fierté et même, même, chez certains, un petit sentiment non feint de supériorité par rapport aux “gratte-papiers qui ne savaient même pas planter un clou dans un mur”.
Bien entendu, il y avait des entreprises en difficulté. Mais bien souvent, pour avoir côtoyé de près certains de leurs responsables, je les voyais privilégier à l'excès la production et ne pas trop se préoccuper, justement de l'aspect intellectuel de leur profession.
Métiers d'art
Par certains aspects, le sommet de l'interaction mains-cerveaux s'appelle “création artistique”, où la main est en liaison avec la plus profonde et le plus mystérieuse des ressources du cerveau.
Et la frontière entre travail manuel et création artistique s'appelle “métier d'art”. Et c'est une spécialité bien française. Marqueteurs (pratiquant la marquèterie, pas le marketing !), émaillistes, ciseleurs, batteurs d'or (oui oui, ça existe), bronziers, patineurs (en lien avec la patine, pas les patins), faïenciers, verriers, nacriers, feutriers, tisserands, restaurateurs de vitraux, j'en passe et des dizaines (il y a officiellement 281 métiers d'art).
Donc : vive la main, quand elle travaille intelligemment. Elle procure des plaisirs insoupçonnés.
Non, les métiers manuels ne sont pas à éviter, mais au contraire à respecter, encourager, aimer…
La preuve par Alain Labarbe
Youtube, ce service de partage de vidéos, est à mes yeux une source inépuisable d'éducation et d'émerveillement.
J'ai récemment découvert un créateur, dont je voulais à tout prix vous parler, et qui est la parfaite illustration de tout ce dont je viens de raconter.
Il s'appelle Alain Labarbe et c'est un grand Monsieur. J'ai beaucoup de respect pour ce qu'il partage.
Il est la synthèse de la liaison cerveau-mains. Il démontre par A + B le plaisir intellectuel de la création manuelle. Et le plaisir manuel de la création intellectuelle…
Ses vidéos sont sans paroles, sur fond de musique classique, avec juste des images et des commentaires sous forme de petits textes remplis d'humour.
Alain Labarbe travaille le bois et le métal (et aussi le plastique par le biais de sa petite imprimante 3D).
Il crée des choses, et nous montre comment il s'y prend.
A titre personnel, je ne travaille pas particulièrement le bois ou le métal. J'aimerais bien, mais je n'ai pas la place de stocker tout l'attirail.
Cela ne m'empêche pas d'être comme hypnotisé par ces vidéos.
Allez, je vais vous en montrer quatre. En fait, il s'agit de quatre étapes dans la construction d'une table multifonctions réalisée avec… deux palettes.
Le cerveau est entré en action, les mains se sont mises en mouvement…
Deux mots pour conclure :
J'aimerais que la reconstruction de Notre-Dame de Paris soit faite avec soin, en faisant intervenir des artisans qui maîtrisent encore les techniques millénaires qui ont permis d'ériger la cathédrale.
J'aime bien le béton, j'ai été rempli d'admiration devant les prouesses réalisées à la Sagrada Familia de Barcelone, mais, franchement, ce serait tellement bien que la charpente extraordinaire de Notre-Dame soit refaite à l'identique. Cela montrerait de manière éclatante que le lien avec le passé n'est pas rompu, qu'il existe encore un savoir-faire en la matière.
Ce serait cher, ce serait long. Et alors ? Visiblement, les donateurs venus du monde entier se pressent pour apporter leur aide, et la cathédrale elle-même a mis 200 ans pour être construite. Ce n'était pas un problème à l'époque.
Cette reconstruction, largement médiatisée, serait l'occasion de réhabiliter la noblesse du travail manuel.
Nous pourrions tous applaudir le travail réalisé. Des deux mains.
🙂
😀
J’avoue que les vidéos me laissent un peu sur la touche, n’étant pas du tout bricoleur. Pourtant, il y a quelque chose dans ton billet qui m’a touché.
Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de travailler sur une machine de menuiserie; je crois qu’on peut appeler ça une scie circulaire sur table. Il s’agissait tout simplement de prendre des pièces de bois de longueurs différentes, qu’il s’agissait de débiter en pièces plus courtes, en deux tailles différentes. Le but n’était pas d’obtenir un nombre donné de pièces de chaque longueur, mais d’avoir le moins de chutes possible.
J’ai donc commencé ma “mission” avec un gros tas de bois à gauche, et je l’ai terminée trois heures plus tard avec, à droite, un tas de pièces longues, un deuxième de pièces courtes et une caisse contenant les chutes.
Et bien je me souviens encore comme si c’était hier de ma surprise en réalisant qu’au terme de ce travail, je me sentais en super forme (malgré quelques courbatures et échardes). Mais surtout, j’étais habité par une étrange sensation de plénitude. J’ai eu alors conscience que le fait d’avoir travaillé manuellement avec une petite dimension intellectuelle (calcul des longueurs) m’apportait une satisfaction au goût unique que je n’avais jamais rencontré dans l’exercice de ma profession (commerçant indépendant).
Alors si la catastrophe que représente la destruction des toits de Notre-Dame peut être l’occasion de faire la démonstration de la valeur de ces métiers manuels, j’en serai très heureux.
Un souci toutefois: le délai de 5 ans promis par le dangereux Macron risque bien d’entraîner des prises de décisions qui impliquent le non-respect d’une valeur première dans l’accomplissement d’un tel chantier: le temps.
Mais je veux croire qu’il y a suffisamment de bon sens en France pour bientôt démontrer le ridicule de cette promesse.
Bonjour Dom’
Je vois que tu as expérimenté cette sensation délicieuse et venant de très loin…
Concernant la durée du chantier, on peut compter sur les techniques modernes associées aux matériaux d’origine.
Je ne suis pas spécialiste dans le domaine mais j’ai côtoyé des Compagnons du Devoir et je les ai regardés faire. Aujourd’hui, les bureaux d’étude spécialisés peuvent concevoir assez rapidement une charpente, même complexe : l’outil informatique les aide grandement, notamment au niveau du calcul des charges.
Une fois la charpente numérisée, avec chaque pièce de bois conçue de manière virtuelle, mais prévue pour s’emboîter parfaitement aux autres, on passe à la machine qui s’appelle je crois CNC.
J’ai vu fonctionner une de ces machines, c’est assez impressionnant : en gros, on introduit à une extrémité une pièce de bois “brute”, et la machine à commande numérique l’usine entièrement, la coupe, crée tenons, mortaises, etc…
La phase suivante s’apparente à un jeu de construction par emboîtement.
Bien sûr, la réalité est plus complexe, mais le gain de temps est absolument énorme par rapport à ce qui était nécessaire au Moyen-âge.
Le problème avec le délai de 5 ans, c’est qu’il risque d’obliger d’employer des matériaux “modernes” qui dénatureraient l’édifice.
Ceci dit, il ne doit quand même pas être possible de faire n’importe quoi sur un tel chantier de rénovation…
Et d’un autre côté, un bâtiment de ce type est en quelque sorte un être vivant, qui se transforme au fil des siècles. On l’a vu avec la pose de la flèche qui n’existait pas à l’origine, par exemple.
Faisons confiance aux spécialistes. Je ne parle pas ici bien entendu des politiques !
Matthew Crawford a écrit à ce sujet “L’éloge du carburateur”. Dans cet ouvrage il raconte comment il est passé d’un think tank dans lequel il avait été embauché après des études de philosophie, au statut de réparateur de motos. Il explique combien l’intelligence est nécessaire au travail manuel et que l’idée selon laquelle l’élaboration d’un objet ou sa réparation posent de réels problèmes d’ordre intellectuel.
C’est un beau livre.
Bonjour Aurelia.
Excellent, il faut que je lise ce bouquin. Merci de me l’avoir fait connaître !
Bonjour et merci pour cet article !
Je fais le lien avec l’une de mes expériences… J’avais 30 ans et c’était la première fois que j’osais coudre à la machine des vêtements pour mes enfants. C’étaient des pyjamas ; -) Quelle fierté et quelles émotions à la vue du vêtement qui s’assemblait ! J’ai trouvé cela magique et je me souviens avoir comparé cela à une création artistique ! Oui oui ; -) Depuis, pour moi, toute création relève de l’Art? Un maçon qui construit un mur doit être super fier de voir la maison se construire brique après brique grâce à lui..comme je l’etais de voir les manches de la veste de pyjama prendre forme?
Les métiers manuels sont aussi des métiers intellectuels et artistiques, c’est évident ! Et ce qui est magique, c’est -il me semble- que le plus souvent ce sont des métiers passions qui rendent les gens heureux !
J’étais enseignante (en fait je le suis encore), mais je rêve de faire un métier plus manuel, dans lequel mes mains seraient au centre de mon activité. Tout en gardant le lien avec les enfants et les apprentissages…C’est un projet que lequel je travaille quotidiennement?
Encore merci pour ton article, comme toujours très inspirant?
Stéphanie
Bonjour Stéphanie
Oui, travailler de ses mains demande une parfaite coordination avec le cerveau, et ça nous rend heureux. Nous sommes simplement faits pour ça.
Dévaloriser les métiers manuels démontre une incompréhension de ce qu’est la nature profonde de l’être humain.
Et pour quelqu’un qui n’a pas eu de contact avec le monde du travail manuel, se retrouver avec le cerveau qui “carbure” soudainement en harmonie avec ses mains est un genre de révélation…
Bonjour, bonjour et merci,
début dans la vie, valet de ferme à quatorze ans puis apprentissage de tapissier décorateur, métier exercé pendant trente cinq ans en menant de front des études d’architecture. Nouveau métier assumé presque autant, je dis assumé car il me manquais ce que je retrouve en se moment, le plaisir de l’expression manuelle, le sens du concret, la fierté de la réalisation !
Se préambule pour me présenter, car j’ai voulu réagir à la relation cerveaux mains. Une cinquantaine d’années ont passées de depuis que j’ai écrit un texte sur ce sujet. La question, qu’est l’intelligence ?
Entre autres réflexions, j’ai soutenu l’inverse c’est l’outil, la main, qui a obligé l’homme a développer ses neurones. Un peu comme artisan qui reçoit une nouvelle machine et cherche comment l’utiliser.Maintenant, je remercie André Labarte quant fatigué je le rejoins sur son site ou aussitôt je reprends la pêche
Il peut être compris par tout le monde mais tout le monde ne fera pas aussi bien. C’est le cerveau qui commande les mains ,qui maîtrise l’imagination pour créer et qui détermine les proportions.Allez au boulot !