S'arrêter, chaque jour, à la même heure, pendant un quart d'heure, et se plonger dans un livre. Individuellement ou collectivement. Faire une pause. Petits et grands. C'est une idée qui est née dans un lycée de Turquie et qui se répand dans de nombreux pays, dont la France, sous la houlette d'une Académicienne…

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Agnès, enseignante en maternelle, a mis en pratique “Silence on lit !” dans son école (où se trouvent des classes maternelles et élémentaires). Elle nous en parle.

Il y a un mois, je publiais l'article “L'usine à détruire les cerveaux”, et mon attention a été attirée par le commentaire d'une tilékolière, Agnès, qui disait ceci :

“Par ailleurs, nous avons mis en place le « silence on lit » quotidien à l’école, 15 min de lecture en début d’après-midi à partir de la moyenne section jusqu’au CM2. Je ne sais pas qui sont les plus accro des institutions ou des élèves.”

J'ai contacté Agnès pour lui demander si elle serait d'accord pour nous parler de cette pratique pédagogique très intéressante, et elle a accepté.

L'interview d'Agnès

-Bonjour Agnès, merci d'avoir accepté de répondre à quelques questions sur l'activité de lecture un peu particulière que tu as mise en place avec tes collègues, de la maternelle au CM. Comment avez-vous appris l'existence de cette pratique ?

Deux collègue ont expliqué qu’à l’ITEP où travaillent leurs compagnons respectifs, tous les élèves et adultes prenaient, à une heure donnée, un quart d’heure pour lire ce qu’ils voulaient du moment que ce n’était pas une lecture de travail. Ils le font tous les jours. Et ça marche !

-Connaissiez-vous l'existence du site Silence on lit ?

Mes collègues nous en ont parlé. Il me semble que l’initiative est partie de là pour l’ITEP. Du coup, on est aussi allé voir.

-Quelle a été la réaction des parents quand vous avez décidé de démarrer ?

Ils ont été dubitatifs au début. Ensuite, ils ont été surpris de voir que leurs enfants préparaient chaque jour le livre, la BD ou le magazine qu’ils avaient lire en classe. Maintenant, ils sont ravis et se demandent toujours comment ça peut marcher.

-Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Pas vraiment. Au début, certains étaient catastrophés quand ils oubliaient la lecture qu’ils avaient prévue. Mais comme il y a des bibliothèques un peu fournies dans chaque classe, ils les ont redécouvertes. Et puis maintenant, ils se prêtent leurs livres et se conseillent les uns les autres.

En maternelle, ça a été un peu plus compliqué. Ce quart d’heure est placé en début d’après-midi, de 2h à 2h15. Donc les PS/MS dormaient, surtout en début d’année. Donc je ne l’ai fait que pour les GS. Mais, ils ne savent pas lire… alors, ils peuvent changer d’albums quand ils l’ont feuilleté à condition de respecter les règles de silence. Ils ont mis un peu de temps à s’y mettre, mais maintenant ils expliquent au MS qui ne dorment plus comment ça se passe.

Paradoxalement, c’est plutôt du côté des adultes que ça a été difficile, parce que, dès le départ, on a dit que ce quart d’heure ne devait surtout pas servir à faire autre chose. Et parfois, certaines terminent un truc vite fait. Moi la première. Mais dans l’ensemble, tout le monde s’y est mis. Surtout qu’aux beaux jours, on lit dans la cour et la notre est très verte et arborée.

Il y a toujours quelques bavards mais moins qu’on ne pensait.

-Avez-vous remarqué des progrès notables chez vos élèves ?

Dans les premiers temps, certains, surtout en CM, terminaient vite fait leur livre/magazine/BD mais ils n’avaient pas le droit de discuter. Du coup, ils se sont plongés petit à petit dedans et ils trouvent maintenant que c’est trop court. « Maîtresse, je finis ma page ! »

En CE et CP, les maîtresses ont constaté que des enfants entraient dans la lecture par ce biais.

Pour certains enfants en difficulté, ça a été quelque chose de libérateur, parce que personne ne juge de leur façon de lire ou de leur vitesse. Donc ils s’y mettent à leur rythme.

-Concrètement, les séances se déroulent comment ? (Avant, pendant, après)

Nous rentrons en classe à 14h et chacun va chercher son livre/album/BD puis il s’installe où il veut dans la classe et comme il veut : sur sa chaise, par terre, sur un coussin… aux beaux jours, dans la cour, c’est pareil. Assis, couché, à plat ventre…

Les enseignantes s’assurent que tout le monde est installé avec un livre et font de même. On jette un œil de temps en temps pour s’assurer que tout se passe bien.

Au bout d’un quart d’heure, chacune dit à ses élèves de ranger son livre et on se remet au travail.

En maternelle, on reste dans la classe : les enfants s’installent également où ils veulent : par terre, sous les tables, sur les tapis, les coussins… et je fais attention à ce qu’ils ne se dérangent pas les uns les autres tout en jetant un œil sur la sieste des plus petits parce qu’à ce moment-là mon ASEM prend sa pause.

Pour toutes les quatre, nous avons constatée qu’après ce temps de lecture, les élèves étaient plus calmes et mieux disposés au travail.

-Avez-vous à votre tour suscité l'envie d'autres écoles de vous emboîter le pas ?

J’accueille régulièrement des stagiaires et, à chaque fois que nous recevons la visite de leur enseignant ou éducateur, ceux-ci prennent des notes et sont toujours étonnés quand leurs élèves leur en parlent. Du coup, certains ont testé aussi dans leurs établissements.

La directrice en a aussi parlé aux autres directeurs du secteur et là aussi, il y a quelques mises en œuvre.

-Tu m'as dit que l'initiative a été mise en place dans le collège de ton fils, mais seulement une fois par mois… 15 minutes par mois seulement ?

Il est maintenant au lycée mais les enseignants de français, de la 6e à la Terminale, ont proposé cette initiative.

Seulement, ce quart d’heure ne tombe pas forcément sur leur cours et les autres profs ont été peu motivés. Du coup, ils ont mis à l’essai une fois par mois de 14h à 14h15, parce qu’à ce moment, tous les élèves sont en classe et que ce ne sont pas toujours les mêmes profs qui donnent un quart d’heure.

C’est sûr qu’un prof de maths, de physique ou de gym rechigne un peu pour ça.

-En tant que mère d'élève et enseignante dans une école qui pratique cette activité, as-tu fait la remarque aux professeurs de collège que c'était trop peu pour être efficace ?

Et non, je ne les vois pas. C’est mon mari qui se charge des rendez-vous et réunions qui ont toutes lieu à 17h, alors que je suis en train de faire la sortie de mes loulous à 35km de là, voire dans l’après-midi. Et lui n’en voit pas l’intérêt.

-Merci beaucoup, Agnès, cet article n'aurait pas vu le jour sans toi !

L'association “SILENCE ON LIT !”

C'est en effectuant quelques recherches suite à la découverte de cette activité que je suis tombé sur le site web silenceonlit.com.

Et ce que j'y ai appris est très intéressant :

Tout est parti d'une initiative lancée au lycée Tevfik Fikret à Ankara, qui vous le savez sans doute est la capitale de la Turquie…

Les premières images de cette vidéo tournée sur place sont assez géniales et nous plongent tout de suite dans le bain :

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Une association “loi 1901” a été créée par Danièle Sallenave, de l’Académie Française, Ayse Başçavuşoğlu, directrice du Lycée Tevfik Fikret à Ankara, et Olivier Delahaye, écrivain et cinéaste.

Cette association s'appelle, comme vous vous en doutez “SILENCE, ON LIT !”

(A ce sujet, si les membres de l'association lisent cet article, je voudrais faire une petite remarque : sur votre site web, on lit souvent “SILENCE, ON LIT!” sans espace avant le point d'exclamation, ce qui ne répond pas aux normes de la typographie française…)

Cette association a publié un manifeste (en sept langues !) que je vous invite à lire ici.

Extrait :

“L’idée est née en Turquie, dans un lycée d’Ankara. Depuis 2001 dans cet établissement tous les jours à la même heure tout le monde (élèves, professeurs, employés et personnel administratif) fait une pause et lit un livre de son choix pendant 15 minutes. S’ensuivent des discussions, des recommandations, des échanges hors des cadres hiérarchiques et où chacun exprime librement ses goûts et ses réflexions. Les effets bénéfiques de ce temps de lecture sur les élèves comme sur les adultes sont évidents : développement de la curiosité, de l’esprit critique, amélioration de l’expression écrite et orale, des relations élèves-professeurs, et aussi mieux-être physique, baisse de la tension, contrôle de soi etc… Mais au delà de ses vertus pédagogiques et bienfaisantes une telle pratique donne une vitalité neuve, enrichissante, émancipatrice à ce dont nous n’osons trop souvent plus parler sans sourire : la culture.”

L'association paraît très active, puisqu'elle a lié par exemple un partenariat avec les éditions Flammarion autour de la collection “étonnants classiques”…

Indispensable lecture !

Il y a de très nombreux avantages à la pratique quotidienne de la lecture.

L'un d'entre eux, et non des moindres, est que ce temps privilégié, qui se trouve presque “sacralisé” par la pratique de 15 minutes à heure fixe, chaque jour, permet d'arrêter le temps, de se mettre en retrait du zapping permanent qui pollue nos existences et de nous faire redécouvrir non pas le temps long (15 minutes, c'est peu) mais un moment de focalisation où nos pensées sont dirigées dans une seule direction…

Cela permet de “nettoyer” son esprit et de se sentir apaisé.

Sans parler, bien entendu, des nombreux autres bénéfices d'un temps de lecture quotidien sur les enfants et les adolescents !

C'est décidé, je vais à mon tour bloquer 15 minutes chaque jour, à heure fixe, pour faire partie de l'aventure !

…Et vous ?