Le samedi 21 septembre 2019, Christine Renon, directrice d'école, s'est suicidée sur son lieu de travail. Avant de mettre fin à ses jours, elle a écrit une lettre dans laquelle elle explique ses conditions de travail. POUR NE PAS L'OUBLIER, et parce que son décès ne doit pas être inutile, j'ai choisi de publier ici le texte de la lettre qu'elle nous a laissée.
Dans le prochain article, je vous donnerai mon opinion sur ce drame, et nous pourrons en discuter ensemble.
Le syndicat SNALC de Créteil a publié une copie de PDF de cette lettre que vous pourrez trouver ici.
Dans son communiqué, il déclare avoir l'accord de la famille de Christine pour que cette lettre soit rendue publique.
J'ai donc téléchargé la lettre et je l'ai transformée en texte éditable. Vous pourrez par exemple faire des copier-coller de certains extraits.
Voici son texte en intégralité.
N'hésitez pas à utiliser la section des commentaires pour écrire un petit mot à la mémoire de Christine, et aussi pour nous informer de toutes les suites à cette affaire dont vous pourriez avoir connaissance.
Mais s'il-vous-plaît, ne laissez pas se déverser votre colère dans ces commentaires. Je compte sur vous. Ce n'est pas le lieu.
Monsieur l'Inspecteur, Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Aujourd'hui, samedi, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée.
Les soucis depuis bien avant la rentrée se sont accumulés, c'est le sort de tous les directeurs malheureusement.
Il n'y a que les Inspecteurs/trices générals qui annoncent en réunion la voix légère que les directeurs ont de très lourdes responsabilités et qu'il vaut mieux être à leur place qu'à la nôtre, mais comment pensent-ils à améliorer nos conditions d'exercice ?
Encore du travail avec le RGPD, et encore je ne vais pas me plaindre, cette année, j'ai retrouvé une décharge complète.
La succession d'Inspecteurs qui passe à Pantin ne se rend pas compte à quel point tout le monde est épuisé par ces rythmes. Personne ne s'interroge sur les gens qui partent ! Sur le temps que travaillent les directeurs !
A la rentrée, les personnels non nommés qui se présentent dans les écoles sans que les Inspections locales soient au courant, la course aux enseignants faite par l'inspecteur et moi-même pour mon école le samedi après-midi pour le lundi, j'imagine que pour les autres cela a été pareil, le risque écarté le vendredi de fermeture de classe (A la maternelle Méhul il y a eu trois fois des changements de structures après la rentrée) tout cela concourt au stress des directeurs.
Les remontées de tableau de structure !!!! mais à quoi sert onde ? Faut-il donner de l'argent des coopératives pour que les inspecteurs aient une clé OTP !
Le travail des directeurs est épuisant, car il y a toujours des petits soucis à régler, ce qui occupe tout notre temps de travail et bien au-delà du temps rémunéré, et à la fin de la journée, on ne sait plus trop ce que l'on a fait.
Pour ma part, j'ai toujours fait pour le mieux pour les élèves, les enseignants, les parents, j'ai essayé de me rendre disponible au maximum pour chacun, toujours répondu positivement à un service que l'on me demandait.
Je dois dire que l'accumulation de faits mineurs dont le plus grave de mon point de vue s'est passé à l'extérieur de l'école, la réception des parents concernés, les concertations avec la psychologue scolaire, les entrevues ou échanges avec l'inspecteur m'ont plus qu'éprouvée !
En rien l'école n'est responsable de cela, mes collègues et moi-même faisons de notre mieux pour la sécurité des enfants.
Mais les Directeurs sont seuls ! Seuls pour apprécier les situations, seuls pour traiter la situation car les parents ne veulent pas des réponses différées, tout se passe dans la violence de l'immédiateté. Ils sont particulièrement exposés et on leur en demande de plus en plus sans jamais les protéger.
La semaine après la rentrée, ils sont déjà épuisés.
Le nombre de personnel dans des collèges qui reçoivent le même nombre d'élèves que nos écoles montre le degré de l'exposition et du stress dans les situations tendues quand on est seul.
C'est une honte qu'il y ait des directeurs non déchargés.
La perspective d'appeler une famille pour leur dire que leur enfant (alors qu'on est sûr qu'il ne l'a pas fait) est soupçonné d'avoir mis le doigt dans l'anus d'un autre (ils ont 3 ans tous les 2) dans la classe, l'école ou le centre ! IMPOSSIBLE ! je ne peux pas le faire, c'est la goutte d'eau qui ce matin m'a anéanti, mais franchement, j'étais déjà très éprouvée.
La perspective aussi de devoir organiser des APC avec les horaires que l'on a. Franchement, prendre les enfants sur le temps méridien, cela peut les faire progresser ? Au pire ils ont faim, au mieux ils digèrent !
Les prendre après, les prendre avant ? En quoi les rythmes de l'enfant à Pantin sont-ils raisonnables ? Presque les même qu'avant avec le mercredi en plus.
Pourquoi notre ministre n'impose-t-il pas aux villes les même horaires ?
Et que pense-t-il des horaires de Pantin ?
La perspective de devoir faire le tableau des réunions,
La perspective de devoir faire les élections de parents d'élèves,
La perspective de devoir faire les plans de sécurité,
La perspective d'aller expliquer aux nouveaux le carnet de suivi des apprentissages premiers, alors que l'État nous a laissé faire tout seuls ce « truc », car selon les circonscriptions, départements, personne n'a le même, certains ont un livret qu'ils tamponnent ce qui a le mérite d'être pratique et moins chronophage, d'autres collent des vignettes, écrivent, prennent des photos… ceci prend un temps monstrueux aux enseignants. Certains s'en sortent mieux avec l'application sur tablette sur Apple, bien sûr tout équipement est sur les deniers personnels des enseignants.
La perspective de devoir faire avec la nouvelle direction du centre de loisirs qui nous envoient des animateurs à 12 heures 10 pour enquêter sur la probabilité que l'enseignante ait appelé la famille d'un enfant qui est tombé et qui dénie une fois qu'elle a la réponse, et le lendemain pareil à midi pour un autre enfant alors qu'il n'est pas inscrit au centre de loisirs!! cela augure des relations futures !
La perspective de devoir attendre pour voir mon médecin pour la toux qui m'empêche de dormir depuis plusieurs jours.
La perspective de dire encore en conseil d'école que les enseignants sont les seuls à qui l'employeur (l'État qu'il s'agisse de l'Education Nationale ou de la collectivité locale) ne fournit pas leur outil de travail, et même avec leurs outils personnels, ils ont du mal à travailler, franchement 2 heures de pause méridienne et pas d'ordinateur pour 11 classes, la clé USB, pour le service informatique de la ville de Pantin est un danger digne de déclencher une guerre !
La perspective de tous ces petits riens qui occupent à 200 % notre journée
Je dois dire aussi que je n'ai pas confiance au soutien et à la protection que devrait nous apporter notre institution, d'ailleurs, il n'y a aucun maillon de prévu, les inspecteurs de circonscription ont probablement encore plus de travail que les directeurs, et la cellule de crise quelle blague !
L'idée est de ne pas faire de vague et de sacrifier les naufragés dans la tempête ! Pourvu que la presse ne s'en mêle pas ! J'ai vu mon amie XXXXX se relever difficilement de ce manque de soutien.
En l'occurrence, je ne vois pas de quoi la presse se mêlerait ! Personne dans l'école n'a rien à se reprocher, j'ai des collègues formidables qui font très bien leur travail, les enfants sont en sécurité dans un cadre rassurant.
Je laisse à la cellule de l'éducation nationale le soin de gérer au mieux le mal être qui va suivre suite au choix du lieu de ma fin de vie, et je suis particulièrement désolée pour XXXXX qui se remet à peine du décès de ses parents.
Et pour finir, je me demande si je ne ferais pas une petite déprime !!! je n'ai pas l'habitude, j'en ai jamais fait, mais j'ai une boule dans la gorge depuis ce matin et envie de pleurer et je suis tellement fatiguée !
Je remercie les parents d'élèves élus qui ont toujours été là, Je remercie les parents en général.
Je remercie mes collègues directeurs.
Je remercie mes collègues pour leur travail avec leur classe, particulièrement à XXXXX, XXXXX, XXXXX et bravo les nouveaux arrivants !
Je remercie les enfants qui ont fréquenté et qui fréquentent l'école.
Je remercie aussi les nombreux animateurs avec qui nous échangeons des bonjours cordiaux.
Je remercie l'Institution de ne pas salir mon nom,
Christine Renon
Directrice épuisée
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Je suis profondément attristée. Je comprends tous les arguments que Christine avance, je suis également impressionnée par la façon posée dont elle a su écrire ces mots, les “coucher sur le papier”… C’est tellement réfléchi, lucide. Et je m’imagine combien sa souffrance et sa solitude ont été grandes pour qu’elle en arrive à cette extrémité. Quel gâchis.
Comme elle a dû souffrir pour en arriver là !
Quelle tristesse de n’avoir d’autre issue à envisager que celle-ci
pour être délivrée des tourments engendrés par son emploi !
Mes sincères condoléances à ta famille, à tes amis, Christine, nous ne t’oublierons pas.
Repose en paix.
Merci Michel pour ce partage, que tu as eu bien raison d’initier.
Que Christine repose en paix…
Promis, pas de colère dans ce post.
Mais on ne peut s’empêcher de constater amèrement…
Voilà ce, qu’inconsciemment, on attendait tous: après la terrible tragédie de France Télécom, les victimes de la Grande Aberration Nationale s’enchaînent…
Le navire craque de toutes parts, mais cela fait bien longtemps que le Grand Sabotage a commencé…
Dieu seul sait comment cela va finir. Ce sera sans moi.
Pour les collègues en burn out, je n’ai qu’un conseil: courage, fuyez.
Retrouvez une vie heureuse et saine.
Pour les autres, préservez-vous au maximum. Et vos familles.
Et n’oubliez jamais, jamais, que l’enseignement n’est qu’un métier, et que la Vie se joue ailleurs, même si on ne vous le dit jamais.
En totale solidarité avec les collègues et les familles qui sont touchés par ce deuil.
Ce sentiment terrible de solitude lorsque nous sommes des milliers… Cette solidarité que nous enseignons et que nous ne trouvons pas auprès de notre hiérarchie, cette bienveillance que l’on institutionnalise dans un texte de réforme alors que déjà nous la pratiquions dans notre instinct d enseignant. notre empathie , notre dévouement, niés et bafoués…nos larmes qui coulent à la lecture de vos mots Madame … parce que oui , j’aurais pu écrire cela…
Quelle tristesse d’en arriver là ! Quelle souffrance !…
Effectivement, on souhaiterait que cela soit au moins “utile” pour alarmer les autorités sur l’urgence de la situation et les inégalités des situations suivant le public rencontré, les collectivités et les supérieurs hierarchiques !…
Mais pour l’instant, mes pensées vont surtout à la famille de Christine, à ses collègues, ses anciens élèves… courage à tous dans cette épreuve douloureuse. ?
Bonjour,
Je suis directrice depuis trois ans…. j’ose espérer que le sacrifice de Christine Renon ne sera pas vain. Il va falloir mettre en place des solutions concrètes pour améliorer le quotidien des directeurs……
Mots criants de vérité, alarmants de réalité.
Nous sommes tellement nombreux à nous reconnaître dans cette lettre. Nous sommes tellement nombreux à comprendre, mais tellement seuls au quotidien.
Directrice, je me retrouve dans ces mots, ce quotidien à gérer, tous ces maux à écouter, soulager, et solutionner; parce que oui on nous demande d’être des wonder women et wonder men. Collègues, enfants, parents, hiérarchie, administration, mairie, être partout tout le temps; et surtout tout faire tout de suite sur des journées qui n’en finissent plus, et la liste continue encore et encore, lorsque je barre une chose faite, j’en écris 2 nouvelles… et puis je prépare la classe, parce que oui mon métier premier c’est être en face des enfants.
avec plusieurs collègues, on ironise et on se définit “desesperate directrices”
quotidien…
oui mais voilà. la vie ce n’est pas que ça.
on respire, on partage, famille, amis, on vit.
Merci Michel pour ce partage, je ne connaissais pas Christine, mais tellement l’impression de la connaitre.
Ici,(en alsace) jeudi nous avons échangé entre collègues, nous avons aussi mis une affiche (simple, sobre en mémoire) pour que les parents sachent. pas de vague. mais en soutien, en respect.
A la lecture de ces mots, je ressens une immense tristesse devant tant de gâchis… mais comme je la comprends…
Combien d’entre nous sont dans cet état d’esprit quelques semaines seulement après la rentrée?
Christine, directrice dévouée parmi tant d’autres, a mis des mots justes sur sa souffrance, sur le fardeau que représentent toutes les tâches qui incombent désormais à la fonction de direction, et sur le manque de soutien, voire parfois le mépris, qui va avec.
Que cette lettre reste dans les mémoires pour ne pas oublier
Toutes mes pensées vont à sa famille, ses collègues, les élèves…courage à toutes et tous
je me reconnais pleinement dans cette lettre, dans tous les témoignages diffusés sur les ondes, dans les commentaires des directeurs et directrices autour de moi. Cette solitude, cette fatigue, cette impression de submersion toujours plus importante, malgré 15 ans de direction, n’est pas due seulement par une lassitude et un détachement, non, tous les ans, notre polyvalence devient encore plus importante. Enquêtes, dossiers, équipes, rapports, relations de plus en plus conflictuelles avec les parents, élèves de plus en plus pénibles ou en difficulté ….et toujours la même portion horaire pour tout traiter, tout cela finit par être envahissant hors de l’école. On vit école, on pense école, on dort école…
Mes 25 % de décharge représente à peine maintenant le temps que je peux consacrer à ma classe, pourtant mes petits CP ont besoin d’attention, de temps pour les aider. Ils n’ont pas besoin d’une enseignante qui planifie mentalement son temps de récréation au bureau tout en leur apprenant les bases de leurs apprentissages.
Ma fin de carrière approche, mais je ne reconnais plus le métier pour lequel j’ai été formée, celui qui m’a apporté tant de joie, de sourires, de mots d’enfants. Ma dose de bienveillance et de patience est au plus bas.
Il faut que le geste désespéré de Christine ne retombe pas dans l’oubli, mais il doit être le premier pas vers autre chose de plus humain, ce cri qu’elle a lancé ne doit pas rester un murmure…
Toutes mes pensées à sa famille et ses collègues durement touchées,
Isabelle