Avez-vous entendu parler du “rapport Goigoux” ? C'est un pavé de 450 pages, donnant les conclusions d'une enquête qui a duré trois ans, et a concerné 2800 élèves de CP, 60 chercheurs venus de 13 universités différentes et 140 intervenants divers. 3000 heures de cours ont été filmées, 8000 photos de cahiers d’écoliers ont été prises. Du lourd.
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Objet de cette enquête : les pratiques d'apprentissage de la lecture et de l'écriture.
Attention, “les pratiques”, pas “les méthodes”. Nuance. Pas de gué-guerre “globale-syllabique” ici. Ouf.
Le rapport fait 450 pages. Sa synthèse fait 50 pages. Voici le “résumé de de la synthèse” : un peu moins de DEUX pages de notes de lectures. Le beau travail d'un collègue, Philippe. De quoi se faire une idée, et avoir envie d'aller un peu plus loin.
Ce “condensé” de rapport Goigoux a été rédigé par Philippe Roux, enseignant spécialisé qui intervient dans mon école.
Une petite note de lecture…
Il a dernièrement envoyé à l'équipe un petit message qui disait ceci :
“Je me permets de vous adresser une petite note de lecture reprenant les conclusions les plus saillantes (à mon avis) du rapport Goigoux, dans lequel une équipe de chercheurs a étudié les pratiques enseignantes en lecture-écriture au CP, et tenté de mesurer lesquelles favorisent le mieux les progrès, en particulier celles des élèves les plus faibles. Il s'agit là d'un tout petit “teaser” destiné à vous mettre l'eau à la bouche.”
Excellente initiative, merci Philippe ! Et merci de m'avoir donné l'autorisation de partager ces deux précieuses pages.
Effectivement, ce petit résumé est très intéressant. Notez que ce rapport parle du CP, mais aussi de l'influence de ce qui a été appris à la maternelle, en amont. Et cette influence est grande, sur le CP et au-delà…
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Principales conclusions du rapport Goigoux (mars 2016) : Projet Lire-écrire au CP
Enseignement du code : influence des pratiques sur les résultats des élèves
- Un tempo rapide en début de CP (12 à 14 Correspondances Grapho-Phonémiques dans les 9 premières semaines) accroit la clarté cognitive et favorise les capacités d’auto apprentissage si les tâches de déchiffrage sont à la portée des élèves (cf. ci-dessous)
- Les élèves faibles en code bénéficient d’un usage de textes déchiffrables dans une proportion importante (à partir de 60% de CGP étudiés préalablement).
- Deux types de tâches d’encodage ont une influence positive sur les performances des élèves : Ecriture sous la dictée (jusqu’à 40’ par semaine) et encodage autonome (jusqu’à 35’ par semaine). Les élèves initialement faibles bénéficient davantage de l’écriture sous la dictée.
- La lecture à haute voix améliore les performances en code et en écriture pour tous, de 30’ à 50’ par semaine.
Enseignement de la compréhension : influence des pratiques sur les résultats des élèves
- L’accroissement du temps consacré aux tâches de compréhension au cours de l’année scolaire et le temps accordé à l’étude de la langue (étude du lexique et de la morphologie) ont un effet positif, ainsi que le nombre de livre lus en classe par le maitre (progrès dans la compréhension des textes entendus).
- Les progrès en compréhension sont également liés au caractère explicite des enseignements, surtout pour les élèves initialement faibles : explications, reformulations, évocation des représentations mentales (à l’inverse des tâches des lecture-compréhension en autonomie).
Enseignement de l’écriture : influence des pratiques sur les résultats des élèves
- L’augmentation du temps consacré à la dictée a un effet positif sur les performances en écriture des élèves faibles ou intermédiaires, jusqu’à 40’ par semaine.
- Les tâches de production d’écrit ont un effet positif sur l’orthographe, ainsi qu’en compréhension pour les activités de planification et d’amélioration des productions.
- L’encodage d’unités linguistiques choisies par l’élève a un effet positif, surtout pour les élèves les plus forts.
- L’explicitation des tâches dans les activités d’écriture portant sur les syllabes ou les mots a un effet positif sur la progression des élèves faibles.
- Passer du temps à produire en combinant des unités linguistiques déjà imprimées a un effet global négatif sur les performances finales de tous les élèves.
Etude de la langue : influence des pratiques sur les résultats des élèves
Le temps consacré à l’étude de la langue a un effet positif sur les performances en lecture et écriture. En particulier :
- Etude du lexique : progrès en compréhension pour les élèves faibles ou intermédiaires ;
- Etude de la syntaxe : progrès en écriture ;
- Etude de la morphologie en relation avec les tâches d’écriture : progrès généraux.
Acculturation à l’écrit : influence des pratiques sur les résultats des élèves
Les classes très acculturantes (usages sociaux de la lecture) favorisent les progrès des élèves initialement faibles ou intermédiaires dans tous les domaines du lire-écrire.
Différenciation pédagogique : influence des pratiques sur les résultats des élèves
- Les activités qui donnent un étayage plus important aux élèves faibles pour une activité commune ont un effet positif sur leurs résultats.
- Les différenciations qui consistent à proposer une activité différente aux élèves plus faibles ont un impact négatif sur leurs résultats.
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Comme vous pouvez le constater, certaines de ces conclusions sont étonnantes. Relisez donc la dernière phrase du texte…
Vous pouvez télécharger (un clic ici) le fichier Word de ce résumé de la synthèse.
Cependant, bien entendu, ce n'est pas en lisant deux pages que vous saurez tout.
Cliquez ici pour lire la synthèse de 50 pages.
Cliquez ici pour accéder au rapport complet.
Bonsoir Michel,
Merci à toi et à ton collègue Philippe pour ce partage: un vrai teaser qui donne furieusement envie d’aller creuser un peu plus dans ce rapport pour mieux comprendre la portée de nos pratiques de classe…
Par contre, la dernière phrase risque bien de m’empêcher de dormir cette nuit et les nuits prochaines (tant que je n’aurai pas lu le rapport que je m’empresse de télécharger)!!!
Merci pour cette synthèse qui donne en effet envie d’en savoir plus et qui nous amène à réfléchir sur nos pratiques.
… ou comment faire exploser toutes les représentations que l’on a de notre façon d’appréhender l’apprentissage de la lecture …
Merci à toi de nous “bousculer” encore une fois !
A titre tout à fait personnel, cette phrase me fait bondir : “Les élèves faibles en code bénéficient d’un usage de textes déchiffrables dans une proportion importante (à partir de 60% de CGP étudiés préalablement).”
Cela veut dire qu’on est prêt à laisser des enfants face à des textes dont 40% sont indéchiffrables voire plus si on a à faire à des élèves fort en code.
Cela revient à faire de la lecture divination, ensuite on se retrouve avec des élèves qui ne lisent pas mais qui devinent, qui anticipent et qui face à un texte nouveau font des hypothèses avant d’avoir lu. Difficile de se plaindre ensuite que les enfants ne lisent pas correctement les consignes. (les adultes non plus d’ailleurs…)
Si vous avez un peu de temps, regardez cette vidéo tirée des controverses de Descartes entre Roland Goigoux et Franck Ramus :
https://www.youtube.com/watch?v=OhM9A0upsSs
Bonjour Philippe
A titre personnel, ton commentaire me fait plaisir 🙂
Cela prouve qu’il y a dans ce rapport des sujets qui interpellent. Et c’est tant mieux.
Ceci dit, attention : il ne faudrait pas prendre une phrase tirée d’une note de lecture de deux pages comme un résumé exact d’un rapport de 450 pages.
Par ailleurs, on peut comprendre cette phrase de plusieurs manières. On pourrait par exemple la lire comme ceci : “Même lorsqu’ils bénéficient d’un usage de textes déchiffrables supérieurs à 60% de CGP étudiés préalablement, certains élèves restent faibles en code”.
Je te remercie pour le lien vers cette vidéo. Je vais l’insérer dans le blog 🙂
Bonjour,
Enseignante de CE1 et confrontée aux élèves non lecteurs, je comprends et accepte tout à fait la phrase qui vous fait bondir. Quel texte français peut se prévaloir d’être constitué uniquement de correspondances graphophonétiques régulières ? Ces types de textes sont pauvres au possible : “il a mal”, “Mamie a lu le livre”. On s’interdirait donc “est”, les terminaisons verbales de la troisième personne du pluriel “ent” etc… Il faut limiter effectivement les mots indéchiffrables pour ces élèves mais ne leur fournir que ces types d’écrits hyper calibrés leur donnerait une fausse image de notre langue : où tout se déchiffre de la même manière comme l’allemand ou l’italien.
En ce qui me concerne, c’est surtout la phrase sur les unités linguistiques préimprimées qui me pose question. Que veut dire Goigoux par là ?
Moi je suis en maternelle mais ça m’intéresse bien. Je vais garder la lecture la synthèse pour les prochaines vacances. J’ai transmis à ma collègue de GS. Merci bien.
Merci à toi et à Philippe pour cette note de synthèse sur cette étude importante. C’est une des rares études francophones rigoureuses sur la lecture, c’est donc très bien d’en parler.
Quelques remarques sur les citations que j’ai mises entre “…” :
– “Pas de gué-guerre « globale-syllabique ».”
Pour moi, dans un sens, c’est comme si tu parlais de la guerre froide comme d’une gué-guerre entre occidentaux et communistes. Quand on utilise ce genre d’expression, c’est qu’on est au-dessus de la mêlée et qu’on domine les débats, par rapport aux petits enfants qui se battent dans la cour de récréation pour un oui ou pour un non.
Mais je partage tout de même au moins d’une autre manière cette expression avec toi. On peut dire que la guéguerre est finie, que ça fait 20 ou 30 ans, voire plus, que les études comparatives, les recherches en psychologie cognitive et plus récemment les neurosciences montrent qu’une méthode explicite, basée sur l’apprentissage systématique et progressif du code orthographe (rapport graphèmes-phonèmes) en décodage et encodage, obtient des résultats bien supérieurs non seulement en lecture mais aussi en orthographe ou en compréhension. Évidemment, sur le terrain de l’enseignement et dans les médias, il y a toujours une gué-guerre.
– “Attention, « les pratiques », pas « les méthodes ». Nuance. Pas de gué-guerre « globale-syllabique » ici. Ouf.”
Ce n’est pas une nuance, même si tu emploies ce terme de manière ironique. J’insiste quand même dessus car en novembre 2013, en France, est parue l’enquête Deauvieau qui montre un effet-manuel très important. Il y a des écarts considérables de résultats en lecture, écriture et compréhension qui correspondent à des manuels de type différent.
Les résultats se recoupent certes de bien des façons avec ce que montre l’enquête Goigoux, mais il n’est pas du tout ridicule ou dangereux en soi d’aborder la variable manuels ou méthodes quand on parle d’apprentissage de la lecture.
Hello Spino 🙂
Les gué-guerres de clochers, de chapelles pédagogiques m’ont toujours fait rire. Effectivement, elles me rendent ironique. Les gens ont à tout prix besoin de faire partie d’un clan opposé à un autre.
J’ai écrit cette phrase parce que dès qu’on parle “apprentissage de la lecture”, on voit certaines personnes commencer à sortir leur flingue. Je me souviens d’un article qui parlait de “de l’écoute des sons à la lecture” où des commentaires offusqués me reprochaient de parler d’une “méthode”, parce que les méthodes, c’est mal.
Idem lorsque je parle de la Planète des Alphas, qui est pourtant un outil vraiment efficace. On a même parlé de méthode alpha-bêtifiante, en oubliant qu’elle s’adressait à des enfants de cinq ans et non pas à des adultes “intellectuels et sérieux”.
Le fait que, justement, Goigoux ait décidé de ne pas entrer dans ces considérations et se soit uniquement attaché à observer les pratiques et leurs résultats est rassurant et me semble assez nouveau. C’est ça qui m’a fait m’intéresser à ce rapport.
Ce ne sont pas les manuels, ni les méthodes, ni les dogmes qui apprennent à lire. Ce sont les enseignants.
Lorsqu’ils n’ont pas de réussite, c’est bien souvent qu’ils sont dans le flou, un peu perdus. Dans ce cas, ils ont besoin d’aide, tout simplement, et ce rapport peut – peut-être – leur être utile, à condition qu’ils aient envie de se remettre en question…
Pas facile de te répondre, surtout à la veille des vacances réunionnaises ;-).
Je dirais simplement que Goigoux ne fait pas innocemment cette démarche d’étudier les pratiques pédagogiques plutôt que les méthodes pédagogiques. Enfin “simplement”, c’est vite dit. Il me faudrait trois-quatre pages pour bien développer. Je vais essayer d’être bref, de tenir en une demi-page, voire une page. *
Roland Goigoux vient de l’AFL, l’Association Française pour la Lecture,
– association fondée vers 1970-1980,
– comptant parmi ses membres François Richaudeau, fondateur de Retz, Eveline Charmeux, Jean Foucambert qui ont eu une influence profonde sur la pédagogie de l’apprentissage de la lecture en France.
– prône notamment un apprentissage idéovisuel de la lecture,
– lutte contre l’apprentissage du déchiffrage comme voie unique d’accéder à la lettre du texte
– demande de passer par le sens directement ou de s’aider du contexte pour deviner le mot, le déchiffrage peut être utilisé de manière accessoire
– lutte contre la lecture à voix haute comme un des moyens d’apprendre à lire.
Goigoux s’en détache violemment en publiant l’étude “Apprendre à lire : les limites d’une approche idéovisuelle” (2000).
Cependant, il ne favorise pas pour autant les méthodes syllabiques synthétiques. Son étude prouve seulement que l’enseignement du code orthographique correspondances graphème-phonème doit être explicite et qu’un enseignement idéovisuel (sans déchiffrage) fonctionne très mal. Une méthode globale étudiant les correspondances après analyse des mots est tout aussi légitime qu’une méthode synthétique.
En 2005, pour avancer une nouvelle méthode, la méthode intégrative, il avance que la guerre des méthodes est finie :
http://www.liberation.fr/tribune/2005/09/02/la-guerre-des-methodes-est-finie_531035
4 mois plus tard, le 3 janvier 2006, de Robien publie sa circulaire qui va mettre le feu aux poudres et déclencher une gué-guerre pendant toute l’année 2006.
En 2013, même chose avec le rapport Deauvieau qui montre un effet-méthode très favorable aux méthodes syllabiques par rapport aux méthodes mixtes.
http://www.lopinion.fr/26-fevrier-2015/inegalites-scolaires-s-estompent-qu-eleve-sait-parfaitement-lire-21754
En 2014, on a un nouvel affrontement qui reprend les mêmes acteurs, les mêmes schémas qu’en 2006.
http://apprendrealire.eklablog.com/apprentissage-de-la-lecture-en-2014-c25253668
En 2015, 2 ans après le rapport Deauvieau, Goigoux décrit son étude à paraître comme une étude qui, peut-on lire dans sa présentation, « souhaite concourir à éteindre la guerre des méthodes », répercutée depuis trente ans dans les médias sous la forme d’une opposition schématique entre « globale » et « syllabique », sans réalité tangible dans le quotidien des classes.
http://www.lemonde.fr/education/article/2015/09/15/vers-la-fin-de-la-guerre-des-methodes-de-lecture_4757893_1473685.html
En 2015, la même année, paraît “Réapprendre à lire, De la querelle des méthodes à l’action pédagogique” de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller.
C’est un livre qui se veut non-polémique. En effet, pour les auteurs comme pour Goigoux, la guerre des méthodes est finie, mais pas dans le même sens.
Le discours est le suivant : “Tout le monde sait qu’une méthode explicite (= syllabique, alphabétique) est plus efficace. Ca ne sert à rien de s’écharper sur ce point. Mais un autre combat reste à mener : une fois qu’on a choisi une méthode explicite (car comment pourrait-on décemment choisir une mixte, une intégrative et encore moins une idéovisuelle ?), comment s’assurer que tous les élèves bénéficient de manière optimale du temps de pratique et de l’accompagnement suffisants pour maîtriser rapidement et efficacement les compétences de base que sont 1) le décodage, le déchiffrage à voix haute accompagné de compréhension et 2) l’encodage (copie, dictée).
Débat entre ces deux conceptions Goigoux vs Garcia d’une fin de la guerre des méthodes
http://www.franceculture.fr/emissions/rue-des-ecoles/echecs-et-reussites-dans-l-apprentissage-de-la-lecture
Ironie de l’ironie donc : même quand on veut arrêter la guéguerre, on s’écharpe dans une autre guéguerre pour définir les conditions de la paix
Bonjour,
Merci pour ce “résumé de synthèse” qui donne en effet très envie d’en savoir davantage !!
Bonjour, je viens au nouvelles au sujet de la pépite de gros calibre ?? L’attente devient insoutenable…
Hello Yann
Ne t’inquiète pas, c’est pour bientôt.
J’aimerais présenter la chose correctement, donc je prends un peu de temps. mais pas de souci, je vous en parle très bientôt.
Bonjour! L’article sur la pépite a-t-il été publié? merci beaucoup pour la synthèse, trouvée après avoir écouté les conférences. Conférences très interessantes!
merci
merci pour le partage de ce résumé du “pavé” du rapport lire et écrire!