La semaine dernière, Danièle Dumont donnait une conférence sur le geste d’écriture pour les enseignants de ma circonscription. Un véritable feu d’artifice pédagogique, mais pas uniquement : c’était également l’occasion de réfléchir à la nature intrinsèque de l’écriture et de découvrir « une autre approche » de son apprentissage.
…Et surtout de se remettre en question à titre personnel.
Cette conférence était tellement riche qu’il m’est impossible de vous expliquer ici en détail tout ce Danièle nous a expliqué, avec la force de conviction qui découle de son expérience, de son expertise et de ses réussites.
J’ai donc décidé de partager avec vous quelques réflexions sur la grande leçon que j’ai pu tirer de cette conférence : pour progresser, nous devons sortir de notre zone de confort et de nos idées reçues. Envisager de faire les choses différemment. Bousculer nos habitudes.
Nous sommes des adultes, des enseignants, nous devrions donc être ouverts à ce genre de réflexion. Pourtant, en entendant quelques commentaires de participants à l'issue de la conférence, je me suis dit que mettre l’accent sur ce point pourrait être intéressant.
La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent.
Albert Einstein |
Vous vous demandez peut-être où je veux en venir…
Graphisme et écriture
Danièle commence sa conférence en projetant un document qui se trouve à la page 18 de son livre « Le geste d’écriture » (Hatier, édition 2008).
Qu’y voit-on ?
Quelques exemples de « graphismes préparatoires à l’écriture » habituellement proposés aux élèves de maternelle : des « dents de scie », des alternances de « grands ponts » et de « petits ponts », une « ligne de cuvettes », une ligne de « boucles à l’envers » etc…
Or, voici le problème : il n’existe pas de lettres cursives présentant des dents de scie. Il n’existe pas des lettres cursives alternant grands ponts et petits ponts. Il n’existe pas de lettres cursives constituées de plusieurs cuvettes consécutives. Il n’existe qu’une lettre présentant une boucle inversée complète : le z. Et le j, le g en cursive ? Ce ne sont pas des boucles inversées. Ecrivez-les, vous verrez…
Première remise en question : Pour préparer l’enfant à écrire, il faut avoir conscience de la “double essence indissociable” de l’écriture : produire une trace ET produire du sens. Cela peut signifier, par exemple, de dissocier le « graphisme décoratif » de l’écriture, sous peine d’amener de la confusion chez l’élève. Il fait des dents de scie, et ensuite ses “M” en capitales ont une forme de dents de scie : mauvais automatisme…
D’ailleurs, les nouveaux programmes de maternelle commencent à intégrer cette dimension, en plaçant le graphisme parmi les activités artistiques, même s’ils diffèrent de l'approche de Danièle Dumont en précisant : « L’activité graphique conduite par l’enseignant entraîne à l’exécution de tracés volontaires, à une observation fine et à la discrimination des formes, développe la coordination entre l’œil et la main ainsi qu’une habileté gestuelle diversifiée et adaptée. Ces acquisitions faciliteront la maîtrise des tracés de l’écriture. ».
Ecrire n’est pas dessiner
« Ecrire, c’est produire du sens ». L’écriture est un automatisme : on le fait sans s’en rendre compte. Apprendre à écrire, c’est acquérir un automatisme.
Mais alors… et la verbalisation ?
Exemple donné par Danièle : « essayez donc, vous adultes, d’écrire le mot « vendredi » en verbalisant à haute voix chaque détail de son tracé ». Nous avons essayé, dans l’assistance. J’ai essayé. D’une part, cela prend un temps fou, et d’autre part, j’ai abandonné bien avant la fin. Pourquoi ? Parce que j’étais en train de décrire la trajectoire que je faisais suivre au crayon sur le papier, et non pas d’écrire un mot.
Eh non, quand on écrit, on n’est pas guidé par la vue, il suffit de tester pour comprendre. D’ailleurs, si nous essayons d’écrire les yeux fermés, nous constatons que nous y arrivons sans aucun problème.
Donc, l’écriture est une composante de l’écrit, mais elle est indissociable de la lecture. Vouloir faire recopier des mots ou phrases vides de sens à un enfant de maternelle est un exercice de dessin très compliqué… mais ce n’est pas de l’écriture.
L'écriture n'est pas la science des ânes
Je pense que les deux exemples qui précèdent sont suffisamment significatifs, il est inutile que j’en donne d’autres. Mais il est important d’engager la réflexion.
Suite à la conférence, dans la cour de récré, j’ai noté deux exclamations de mes collègues :
« L’inspecteur nous a toujours fait verbaliser ! » (Je précise pour m’éviter des ennuis qu’il ne s’agit pas de mon inspecteur actuel 🙂 )
« Moi, je n’ai jamais fait comme ça ! »
Eh oui, nous n’avons pas forcément appris les choses de cette manière.
Eh non, l’écriture n’est pas la science des ânes. Eh non, l'écriture n'est pas non plus la calligraphie. C’est un processus complexe qui va bien au-delà du tracé de lettres accolées, qui n’est qu’une partie de l’équation.
Certes, on peut apprendre à écrire de bien des manières.
Certes, pour aller d’un point A à un point B, on peut passer par bien des chemins. Et il existe des chemins confortables, et d’autres, inconnus, mystérieux, mais qui pourtant constituent des raccourcis très efficaces.
Et lorsqu’on voit les résultats qu’obtient Danièle Dumont avec des élèves Lambda qui ont pris ses petits chemins à elle, on ne peut qu’être ébahis. Et avoir envie de les emprunter à notre tour. (Voir ici sur le site de Danièle)
Attention : je ne dis pas “il faut“, ou bien “jetons aux orties nos façons d'enseigner“. Soyons justes curieux, essayons de comprendre les autres approches et, pourquoi pas, essayons de les appliquer, en gardant l'esprit ouvert et en comprenant ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons.
Je vous conseille vraiment de vous plonger dans cette bible qui s’appelle « Le geste d’écriture »*. Ca ne se lit pas comme un roman de gare. Mais c’est aussi passionnant qu’un thriller.
Je vous suggère également de réclamer à vos instances des conférences de Danièle Dumont. Parce qu’elles sont toniques, claires, et qu’elles changent la donne.
Merci, Madame Dumont !
*Le livre de Danièle Dumont est en cours de réédition, vous pouvez avoir des détails sur cette rééditions sur son site : Nouvelle édition du “Geste d'écriture”
Et d'ailleurs, ne vous privez pas de visiter le site de Danièle : “legestedecriture.fr”
Outre “Le geste d'écriture”, Danièle Dumont a également publié de nombreux cahiers d'écriture, adaptés à tous les niveaux. Voici la page qui leur est consacrée sur Amazon.
Entre autres, “Le cirque“, une nouveauté qui, selon Danièle, nous donne “une idée concrète de la façon de gérer la différenciation et la transversalité”.
Ah, aussi… les “posters d'écriture”! Avec – enfin – des modèles de lettres cohérents et non pas tirés d'une quelconque “police de caractère cursive”. Petit “plus” : des réglettes individuelles, pour chaque élève (à plastifier ou coller sur la table) avec les modèles de lettres cursives et manuscules…
J’aurais tellement aimé être là !
L’année dernière j’ai proposé plusieurs fois à l’équipe de circonscription la venue de Danièle, en vain. J’avais même prévenu Danièle et elle était partante, en vain.
ça m’énerve!!!!!!!
Mais bon, chanceux que tu es.
J’aimerais bien avoir une compte rendu de cette conférence plus détaillé, y en a-t-il eu un de rédiger quelque part?
Bonne continuation.
Bonjour Chris
Il est vrai que nous avons été chanceux : 10 conférences, 1800 personnes y ont assisté, dont 500 à la dernière !
bonsoir, a-t-elle parlé de l’apprentissage de l’écriture en scripte et/ou cursive?
Il est vrai qu’en ce moment je me documente beaucoup sur la pédagogie Montessori qui prône l’apprentissage de la cursive. On n’écrit pas en script et les lignes droites sont moins naturelles pour l’enfant que les courbes alors puisqu’il faut donner du sens aux écrits autant le faire directement en cursive. Malheureusement je suis en cycle2 et donc je n’ai pas pu assister à cette réunion mais j’aurai bien aimé avoir son point de vue sur ce sujet… Encore merci pour ton travail Michel. Même si je participe peut aux échanges je te lis toujours avec beaucoup d’intérêt.
Ah ben tes recherches m’intéressent beaucoup. J’ai bien échangé avec Danièle sur ce point. Tu peux lui écrire sur son mail, elle répond toujours. Je l’ai même eu au téléphone pour qu’elle m’explique bien son point de vue.
J’essaie depuis 2 ans de faire changer d’avis ma collègue de MS pour ne plus passer par l’apprentissage de l’écriture script majuscule et directement aller à la cursive. En vain. Mais je tiens bon. Parce que je pense vraiment que Danièle a raison, Maria Montessori aussi et bien d’autres….. Comme on dit, Paris ne s’est pas faite en un jour. Patience patience…
Bonjour Juliette
Nous parlons bien de l’écriture cursive.
Bonjour Chris,
Si vous êtes plusieurs à vouloir me voir on peut peut-être trouver une solution. Envoie-moi un message.
Tu trouveras sur mon site à la fois des articles et plusieurs conférences thématiques parmi celles que j’ai eu l’occasion de faire (L’école face à ses objectifs – http://legestedecriture.fr/lecole-face-a-ses-objectifs/) (La place d’un enseignement structuré de l’écriture dans la prévention de l’illettrisme http://legestedecriture.fr/illettrisme-les-mureaux/) (L’enseignement de l’écriture de la maternelle à l’élémentaire : obstacles et préconisations http://legestedecriture.fr/lenseignement-du-geste-decriture-de-la-maternelle-a-lelementaire-des-obstacles-des-preconisations/) (Nécessité et intimité de l’écriture manuscrite à l’heure du numérique http://legestedecriture.fr/lecriture-manuscrite-et-le-numerique/)
J’ai écrit ces conférences après les avoir faites (car je trouve appauvrissant de rédiger une conférence pour la faire ensuite) mais je ne fais jamais de compte-rendu de mes conférences sur le geste d’écriture en général ; elles ne s’y prêtent pas. Je les adapte au public. Si on veut les résumer on en perd beaucoup. Le mieux alors serait de lire le livre – dont la nouvelle édition arrive prochainement http://legestedecriture.fr/nouvelle-edition-du-geste-decriture/- nous avons pris du retard 🙁 .
Merci pour cet article même si le fait de prendre l’écriture experte comme référence pour comprendre comment un enfant apprend me gène toujours un peu (On m’a déjà fait le coup avec la lecture et la reconnaissance globale des mots). Bien évidemment, décrire ce que l’on fait en écrivant est pénible et long. Quand à la référence à la vue, elle m’ennuie un peu car c’est parce que nous avons une sacré mémoire kinesthésique (et des heures de pratique) que nous pouvons nous passer de la vue. Néanmoins, l’article donne bien envie d’en savoir un peu plus. La formation initiale et continue étant inexistante à ce sujet dans mon département, il est toujours intéressant d’aller voir par soi même.
Bonjour Philippe,
Soit je n’ai pas compris ce que tu as écrit, soit tu n’as ni lu mon livre ni visité mon site (http://legestedecriture.fr) . IL ne s’agit pas de “prendre l’écriture experte comme référence pour comprendre comment un enfant apprend”, c’est à dire il ne s’agit pas de faire reproduire un modèle, fut-il un modèle donné par un expert. Il s’agit bien de faire entrer l’enfant dans le système d’écriture. Le système, pas l’alphabet. C’est à dire ça http://legestedecriture.fr/le-systeme-decriture-fonctionnement-global/
Le geste d’écriture ce n’est pas le geste de l’écriture, encore moins les gestes de l’écriture, c’est un concept global qui intègre tout autant l’automatisme que geste que la production du sens. http://legestedecriture.fr/le-geste-decriture/
A l’intérieur de ce concept globale il y a, entre autres, la forme des lettres http://legestedecriture.fr/la-forme-et-le-geste/
Après ce bref tour d’horizon – auquel il faudrait ajouter bien d’autres choses qui font la spécificité de mon enseignement et autorisent la différenciation et la transversalité – après ce bref tour d’horizon, donc, tu auras compris que ce que tu sembles m’attribuer est exactement ce que je combats car une démonstration rapide et efficace montre qu’il s’agit d’erreurs pédagogiques dommageables et parfois dramatiques lorsque les enfants s’accrochent aux enseignements toxiques reçus implicitement à travers elles.
Moi aussi, j’aurais bien aimé participer à une telle conférence. Je suis les “bons conseils” de Danièle Dumont depuis 4 ans avec mes GS/CP, je les mixe avec les “bons conseils” de Laurence Pierson et ceux de Célia Cheynel, et je suis contente du résultat. Mais la route est longue.
Moi qui suis à temps partiel dans ma classe (car directrice), qui l’ai donc partagée avec 8 enseignantes depuis 4 ans, à chaque fois, je passe par un petit cours de “regarde comment je trace les lettres”. J’ai parfois l’impression d’être la seule à tracer les lettres comme Danièle… Ces tracés me paraissent pourtant tellement évidents!
Mais comme disait Philippe ci-dessus, la formation initiale et continue étant totalement inexistante dans mon département sur ce sujet, il va être long et laborieux de changer les habitudes.
Merci encore Michel pour tes articles éclairés!
A mon avis, mais ce n’est que mon avis, il vaut mieux utiliser une méthode en la comprenant à fond que de greffer dessus des informations issues de cette méthode, les deux personnes que tu cites ayant fait une année de formation spécifique à la rééducation de l’écriture avec moi mais ayant décidé de “faire autrement”… si on peut dire.
Maintenant pour le “petit cours” tu as les posters http://legestedecriture.fr/nouvelle-publication-les-posters-a-afficher-en-classe/. Avec le poster du processus de formation des lettres tu pourras montrer qu’il existe deux unités de mouvement. Celles-ci ont chacune une forme de base. Tu y verras comment ces formes peuvent dériver pour donner chacune deux dérivées.
Du coup tu comprendras pourquoi il vaut mieux utiliser le terme d’étrécie que j’ai créé pour désigner la 1ère dérivée de la boucle que d’inventer d’autres termes. En effet, lorsque les enfants voient qu’en rendant la boucle très étroite on accède à une autre forme, l’étrécie, il apprennent très vite cette nouvelle forme et accèdent du coup rapidement et facilement à trois autres lettres i, u et t.
Au sujet de la réussite ou non des enfants, je voulais profiter de ce message pour dire quelques mots de la nouvelle édition d’un livre de Daniel Favre “Cessons de démotiver les élèves” paru aux éditions Dunod. Tous les enseignants devraient l’avoir lu. C’est un livre capital. J’en dirai très prochainement quelques mots sur mon site. Je le découvre et pourtant j’en appliquais les préceptes depuis longtemps. En le lisant j’ai compris pourquoi certaines personnes d’arc-boutent sur leurs façons de faire, leurs façons de voir et n’arrivent pas à apprendre (ce qui crée ensuite des dissidences) : elles n’arrivent pas à dépasser leur cadre sécurisant et qu’elles pensent valorisant et, leurs “changements” n’en sont pas, elles dupliquent simplement ce qu’elles ont l’habitude de faire en mettant un zeste de ce qu’on vient de tenter de leur apprendre.
Tout est intéressant dans ce livre mais je retiens pour ce commentaire les trois modes de fonctionnement des motivations.
Si je le fais ici, ce n’est pas prioritairement à l’attention des enfants via les enseignants, mais à l’attention des enseignants pour eux-mêmes. Les trois motivations sont la motivation de sécurisant SM1, la motivation d’innovation SM2 et la motivation de sécurisation parasitée. Le jeu des deux premières fait grandir le sujet. La dernière bloque tout apprentissage ; elle renforce tout ce qui fait tourner en rond et génère de l’opposition et un besoin de s’imposer, de dominer. Mais je ne voudrais pas déflorer le livre. Lisez-le.
Philippe, Delphine,
dites-moi (en contact sur mon site si vous ne connaissez pas mon adresse) dans quelle région vous êtes
Bonne journée D
Au sujet des systèmes de motivation, j’ai fait une faute de frappe/un lapsus, mais on l’aura rectifié : Les trois motivations sont la motivation de sécurisation SM1, la motivation d’innovation SM2 et la motivation de sécurisation parasitée SM1p.