Apprendre. Apprendre à apprendre. Etre son propre professeur pour des matières qu'on ne maîtrise pas. Impossible ? Pas du tout. Il suffit d'avoir les idées claires et de prendre quelques raccourcis, comme ceux indiqués par Tim Ferris dans son dernier bouquin. Et si on appliquait cette procédure à notre propre enseignement, non pas pour s'apprendre à soi-même, mais pour apprendre à nos élèves ?
Tim Ferris est un garçon fantasque. Il fait des expériences dont il est lui-même le cobaye.
Et ensuite, il en fait des bouquins…
Spécialisé dans les neurosciences (il est diplômé de Princeton), il a une idée fixe : trouver les moyens les plus directs pour améliorer nos résultats, dans tous les domaines. Physiques, mentaux, psychologiques, etc…
Il a mis au point et perfectionné une technique bien à lui pour apprendre en un temps record une langue étrangère. Il a appris le japonais en une année, le chinois mandarin en six mois, l'allemand en trois mois et l'espagnol en huit semaines.
Ah, j'ai oublié de vous dire que Tim est également un auteur à succès. Adulé par les uns, décrié, voire descendu en flammes par les autres. Il ne laisse pas indifférent. J'aime bien lire son blog de temps en temps, cela me permet de perfectionner mon anglais et de faire des découvertes insolites, même si sa culture très “américaine” est parfois difficilement compréhensible pour un français.
Son dernier livre (pas encore traduit en français à la date où cet article est écrit) s'appelle “The 4-Hour Chef”, traduction : “comment devenir un cuisinier-expert en quatre heures“. L'expression “en quatre heures” signifiant pour Tim : “en très peu de temps“.
Ce bouquin est très particulier. Il est une excuse, un prétexte pour pouvoir exposer la méthode personnelle de “méta-apprentissage” de l'auteur. Son discours est celui-ci : “avant d'apprendre à cuisiner, vous devez apprendre à apprendre, et je vais vous montrer comment je fais”.
Ah, ça commence à devenir intéressant. Apprendre à apprendre. Qui sait ? d'”apprendre à apprendre” à “enseigner”, il n'y a qu'un pas.
Penchons-nous donc sur sa technique d'auto-apprentissage. Vous allez voir, nous sommes en terrain connu.
Tim Ferriss nous délivre une recette en quatre étapes et trois principes secondaires.
Les quatre étapes :
Première étape : la déconstruction.
Je considère que le domaine que je désire maîtriser est un édifice fait de briques. Je le démonte, je le déconstruis, je l'observe, j'identifie clairement chacune des briques.
Deuxième étape : la sélection.
Je fais un tri, et je ne conserve que les 20% de briques qui sont essentielles, et sur lesquelles je vais me focaliser.
Troisième étape : la mise en séquence.
Je vais placer mes briques sélectionnées dans un ordre stratégique, et je les aborderai en suivant cet ordre précis.
Quatrième étape : Les engagements
Ce sont des genres de contrats passés avec soi-même. Par exemple, ” si je ne respecte pas mon engagement à telle date, j'enverrai un don de 10 euros à une association que je déteste “. C'est ce qu'on appelle “l'anti-charité”, et il existe même un site web spécialisé dans ces “engagements” qui maintiennent la motivation – et la pression positive.
Comme le dit très bien Tim : ” un objectif sans conséquences n'est qu'un souhait “. Je vous laisse méditer…
Les trois principes secondaires :
La compression :
Je dois être capable de décrire mes 20% de briques sélectionnées sur une simple feuille de papier. La concision, la simplicité, la clarté sont synonymes d'efficacité.
La fréquence :
A quel rythme, à quelle vitesse vais-je aborder mon apprentissage pour des résultats optimaux ?
L'encodage :
Je vais chercher à relier mes nouvelles connaissances à des connaissances déjà acquises, ceci me permettant une meilleure mémorisation.
Cette “recette d'auto-apprentissage” suit une logique implacable. Elle donne une marche à suivre claire.
Les enseignants retrouvent un peu la même logique dans la définition de programmes, de programmations, de progressions, de séquences.
Insistons sur deux points :
Les deux points fondamentaux sur lesquels j'aimerais insister sont les suivants :
La simplification
Je me focalise sur les 20% indispensables, qui vont conditionner la réussite des 80% restants. Par exemple, pour faire le parallèle avec ma classe de grande section, dans le domaine de l'écriture, pour moi la lettre la plus importante, celle qu'il faut maîtriser avant de passer à la suite, est la petite lettre “c”.
Pourquoi ?
- Parce que lorsqu'on sait tracer un “c”, on n'a plus besoin d'apprendre le sens de rotation du “o”, il va de soi, il suffit de “fermer” le c et on a un o.
- Parce que lorsqu'on sait tracer un c, il est très simple d'écrire un a.
- Parce que lorsqu'on sait écrire un a, on n'a pas de problèmes pour écrire un d ou un q.
- Parce que lorsqu'on a compris le principe du changement de direction de la boucle du o, on est armé pour le r, le w et même le z.
- Etc…
La compression
Si je suis capable d'écrire sur une simple feuille de papier – ou d'expliquer oralement – quelles sont les “briques” de base que je vais apprendre, j'y vois clair. Je n'ai plus ensuite qu'à suivre le chemin. Voir ici.
Faisons une expérience à notre tour…
Essayez, juste un instant, d'appliquer ces sept points à un domaine d'enseignement.
Tenez, par exemple, le langage oral : quelles sont, d'après vous, les “briques élémentaires” qu'un enfant doit maîtriser au cours de ses trois ans de maternelle pour pouvoir s'exprimer de manière correcte, et ensuite passer au perfectionnement de sa pratique ?
Bien sûr, il y aura le vocabulaire. La syntaxe. Les interactions. Mais encore ? Une des bibles en la matières, le livre de Philippe Boisseau, donne toutes les clés, et il fait 304 pages. Peut-on en quelque sorte “extraire son ADN” et appliquer les étapes de sélection, de séquençage et de compression ?
Allez, je vous passe le relais, vous avez la parole.
La stratégie de Tim n'empêche pas la liberté de l'élève et de l'enseignant, elle ne freine pas la spontanéité, ni l'utilisation du vécu personnel de l'enfant : elle nous permet simplement – entre autres choses – de nous focaliser sur le principal et de ne pas oublier les points essentiels.
J’aime la manière dont tu exploites ce que tu découvres ! Sa méthode d’auto-apprentissage me fait également penser aux cartes mentales : créer sa carte c’est viser l’essentiel et y raccrocher les éléments annexes puis les détails pour pouvoir reconstruire la connaissance à partir du dessin… Même fonctionnement que les briques 😉
Bonjour Vefa
Effectivement, cela rappelle un peu les cartes mentales. Ca met de l’ordre dans la tête, le cerveau apprécie et devient plus efficace avec moins d’efforts…
De la simplicité! nous en manquons tant!
Merci Michel pour ce nouvel article fort intéressant.
Je me souviens qu’avec ma classe de CE2 il y a quelques années, j’avais entrepris de reprendre à zéro la construction d’une phrase dans le but qu’elle apparaisse aux enfants le plus simplement possible, et nous avions cherché ensemble des noms rigolos et des dessins pour les associer aux “sujets”, “verbes”, et autres “compléments circonstanciels”. C’était, pour reprendre ce que dit Véfa, comme une carte mentale géante.
La simplicité, on en aurait bien besoin nous aussi. Quand je regarde le contenu des programmes, je ressens ce besoin quasi vital de faire le tri. ça me fait penser à cette histoire du vieux professeur (dans les histoires, les professeurs sont toujours vieux!) qui explique à ses étudiants la bonne gestion de leur planning. Tu la connais?
La bonne gestion du planning ? je suppose que c’est quelque chose comme “celui qui échoue dans sa planification planifie son échec“… A ce sujet, je ne suis pas vraiment d’accord. On pourra en reparler.
Parlant de simplicité, ma citation favorite est celle de Saint-Exupéry : “Il semble que la perfection soit atteinte, non quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retrancher »…
J’adore cette citation! Je vais de ce pas la mémoriser, elle me sera utile!
Concernant l’histoire de la “gestion du planning”, c’est pas tout à fait ça. J’ai utilisé cette expression à la va-vite. Il s’agit en fait d’un cours que donne un professeur plutôt sur la gestion du temps, pour de futurs cadres, ingénieurs, qui n’auront de cesse de vouloir optimiser leur emploi du temps. Pour cela, il pose un gros récipient de verre sur la table.Il dépose alors dans le récipient des galets, jusqu’au bord et demande: “ai-je bien rempli mon récipient?” on lui répond:”oui, puisqu’on ne peut plus mettre de galets”. Il verse alors des petits cailloux qui vont se nicher dans les moindres recoins et demande:” ai-je bien rempli mon récipient?” on lui répond cette fois que non car on a compris que le professeur irait plus loin. En effet, il verse ensuite du sable et enfin de l’eau, jusqu’à remplir absolument tous les espaces du récipient. Il demande:” à votre avis, que signifie cette expérience?” On lui répond:” elle nous prouve que même si l’on pense que l’on a bien plannifier notre semaine, on peut encore faire mieux et trouver de la place pour être plus efficace”. Et le professeur de conclure sa démonstration: “non, ce qu’elle signifie, c’est que si vous commencez par l’eau, ou le sable, vous ne pourrez plus mettre vos cailloux et pire, vos galets.Cette expérience est une métaphore: vous devez mettre les galets en premiers dans votre vie”.
J’avais trouvé cette histoire dans le placard d’une classe où j’effectuais un remplacement. Elle est semble t-il assez connue. Je l’aime bien mais je réalise souvent que quelque soit le domaine (programme d’une année scolaire, famille, projets…)l’eau et le sable prennent encore trop de place.
Je profite de ce message – du coup un peu long, je m’en excuse – pour demander à tous ceux qui le souhaiteraient de bien vouloir m’aider à réaliser une “carte conceptuelle”. Je dois en effet, faire cet exercice dans le cadre de ma formation de maître spécialisé. Pour cela je dois choisir un concept et confronter plusieurs définitions existantes afin d’en dresser les caractéristiques. J’ai choisi la métacognition. Des travaux, des citations référencées ainsi que des concepts voisins ou opposés sont les bienvenus. A moi ensuite d’apporter une réflexion et de faire le lien avec mon expérience professionnelle. Je ne sais pas comment procéder pour que nous puissions échanger en dehors de ce lieu de commentaires. Michel va peut-être m’éclairer à ce sujet. D’avance, un grand merci.
Un espace de commentaires est avant tout…un lieu d’échanges, donc ne nous gênons pas 🙂
Oui, bien sûr, déterminer quels sont nos “gros cailloux”est fondamental, jette un oeil dans les “dossiers Tilékol”, tu y trouveras des informations complémentaires…
Très intéressant ton article, comme d’habitude ! Personnellement j’ai toujours beaucoup de mal à viser l’essentiel et ai le sentiment de souvent “perdre” du temps dans les choses peu importantes avec mes élèves, ou bien de ne pas savoir comment décortiquer pour reconstruire avec les élèves en difficulté qui perdent pied en grammaire ou en numération en CE2-CM1…
Je continue de tâtonner, et j’espère qu’un jour les choses essentielles me paraitront évidentes !… Je reste persuadée que nous faisons un métier où rien ne remplace l’expérience !… Comme me disait un prof de l’IUFM il y a 2 ans : un bon prof est un prof expérimenté, en fait, quand vous serez de très bons profs, il sera temps de partir à la retraite !…
En tout cas, les cartes mentales m’aident beaucoup pour réfléchir à l’essentiel, mais il serait plus riche de le faire à plusieurs je pense. Quelle chance de faire ce travail avec votre équipe d’école !!
Merci de nous faire part de vos trouvailles !
Je suis d’accord avec toi. De mon côté, cet article m’a fait penser à un cours d’IUFM où on parlait de la “boite noire”, de la métacognition, …
La métacognition est quelque chose de passionnant…
Dans son dernier article (c’est un hasard), Tim dit ceci : “My specialty is modeling success. I analyze what works and ask: what recipe can I find that others can use?”
Traduction : “Ma spécialité est de modéliser le succès. J’analyse ce qui fonctionne et je me dis : quelle recette pourrais-je en tirer, et que d’autres pourraient utiliser ?”
Nous sommes bien dans le concept de “recette”, décrié par de nombreuses personnes et pourtant, pourtant… S’il n’y avait pas de recettes, comment ferions-nous de bons petits plats, et surtout, comment les partagerions-nous avec les autres ?
Merci pour cet article qui me fait réfléchir, comme d’hab!
Je trouve cette méthode très cohérente avec la pédagogie explicite toujours à la recherche de la simplicité, et donc toujours à la recherche des étapes essentielles pour acquérir une connaissance. La difficulté c’est que cette méthode présuppose de bien connaître les élèves et leur façon de fonctionner pour prévoir les étapes essentielles de l’apprentissage. Et là je rejoins Sarah, c’est l’expérience de l’enseignant qui va être déterminante pour anticiper… Vraiment intéressant cet article! Tu ajoutes une pierre de plus à ma réflexion sur la pratique, c’est motivant.
Bonjour Delphine
Je pense qu’en cycles 2 et 3, il y a matière à appliquer de manière intéressante le principe des engagements, qui sont des genres de contrats un peu particuliers…
Encore un excellent article ! Merci, Michel !
Merci à toi pour les corrections !
J’explique aux autres : régulièrement, lorsque je publie un article, “Spino” le passe en revue et m’envoie un petit mail dans lequel il m’indique les petites erreurs de ponctuation ou d’inattention. C’est très précieux. Tu ferais un excellent correcteur dans une maison d’édition. Encore merci !
Qui aime bien corrige bien ! 😉
Quelle article ! C’est formidable d’avoir proposé une synthèse de ce qui se passe dans le cerveau de Tim Ferris !
J’aime le concept de simplification élémentaire et ces clés de motivation.
A mettre en place avec nos élèves.
Et pour nous…
Quelle article ! C’est formidable d’avoir proposé une synthèse de ce qui se passe dans le cerveau de Tim Ferris !
J’aime le concept de simplification élémentaire et ces clés de motivation.
A mettre en place avec nos élèves.
Et pour nous…