Vous en avez peut-être entendu parler: dans la ville de Los Angeles, un iPad a été distribué à chaque élève de chaque classe, de 5 à 18 ans. Et cette expérience est en train de tourner en eau de boudin. C'est intéressant, parce que cela permet de comprendre qu'introduire le numérique dans une classe en oubliant au passage la pédagogie, ça ne peut pas fonctionner.
Cette histoire de tablettes à Los Angeles, c'est un peu une histoire de fous.
De nuls en maths, de naïfs. Mais pas de pédagogues.
Il faut le répéter sans cesse : l'entrée de l'école dans l'ère du numérique doit se faire par la porte de la pédagogie. Sinon, c'est l'échec assuré, avec en prime un gaspillage d'argent public et un désengagement des enseignants.
Ce qui s'est passé à Los Angeles en est l'exemple parfait, caricatural, démesuré, à l'américaine.
Un exemple à ne pas suivre, mais à comprendre, pour éviter de le reproduire.
J'ai été mis au courant de cette histoire rocambolesque par des personnes qui voient d'un mauvais oeil ma volonté d'équiper mon école maternelle de tablettes, plus précisément d'iPads.
Elles m'ont expliqué que ça ne marche pas, et que le “district” de Los Angeles est en train d'en donner la preuve au monde entier.
Ces personnes sont des spécialistes en informatique, des gens respectables et compétents, il était donc naturel que je les écoute. Mais j'ai quand même voulu en avoir le coeur net, et je me suis lancé dans une petite recherche sur Google pour comprendre le pourquoi du comment.
Je précise que je n'ai pas non plus passé des heures à me documenter, je me suis contenté de lire quelques articles significatifs, ( ici, ici, ici, et ici, avec un gag désopilant ici) et j'ai pu me faire une opinion personnelle. Je vous la livre, en sachant que si au passage j'ai oublié un détail important dans cette histoire à la “Dallas”, merci de ne pas m'en vouloir, et d'apporter les précisions en commentaire.
Voilà ce qui s'est passé :
1 milliard de dollars au soleil
Dans un élan de générosité étonnant, le district scolaire de Los Angeles a lancé un plan de fourniture d'un iPad par élève.
Ce plan a un coût, qui atteindra 1 milliard de dollars à l'issue de l'opération.
L'opération a démarré dans l'enthousiasme, mais ça n'a pas duré : les “Unes” des journaux, dithyrambiques, parlent maintenant de scandale, voire d'échec (bien qu'à ce que j'ai pu comprendre, l'opération soit maintenue et soit prévue pour s'achever en 2015).
Une histoire de gros sous
On pouvait s'y attendre, le premier problème est un problème de gros sous. On pouvait s'y attendre au pays de l'Oncle Sam, du business et de l'affreux JR.
Ce qui est assez incroyable, c'est de constater que les autorités scolaires ont signé un contrat sans même le lire.
Pour faire court, ils avaient droit à une remise commerciale, mais cette remise ne commençait à prendre effet qu'après un certain nombre d'unités achetées.
Ils se sont étonnés en outre (après avoir signé !) que les iPads leurs soient vendus à un prix plus élevé que le prix public, en oubliant que ce tarif incluait, outre l'appareil, divers accessoires, une garantie de trois ans, une assistance technique, etc… Eh oui, tout ceci a un coût.
Moralité : lorsqu'on investit dans du matériel informatique, il faut d'attendre à des frais supplémentaires. A des vols, de la casse, de l'entretien, des réparations.
Des réseaux inexistants
Deuxième problème : un manque d'accès wifi dans les classes. Là aussi, s'ils voulaient que les tablettes soient connectées, ils auraient quand même pu penser à vérifier que l'équipement existait.
Incroyable, non ?
Oh My God, Facebook !
D'après vous, lorsqu'on donne un équipement informatique à un lycéen, quelle est sa première préoccupation ?
…Aller sur Facebook, sur les autres réseaux sociaux, visiter des “sites de jeunes”, voire d'adultes très adultes, si vous voyez ce que je veux dire.
Ce qui devait arriver arriva : en moins d'une semaine, les lycéens ont trouvé le moyen de contourner les protection du joujou qu'on leur avait offert et sont allés se promener sur une partie du web qui ne leur était pas officiellement destiné.
Mais franchement. Comment pouvait-on penser une seconde qu'il puisse en être autrement ? Non, les jeunes ne sont pas manchots, et oui, ils maîtrisent la technique !
Du coup, les bien-pensants sont choqués. Comment ? On distribue aux jeunes des tablettes et ils vont sur Facebook ?
Les autorités du LA School District ont donc été à la fois nulles en maths, incompétentes et naïves.
Mais…
Mais…
Mais…
On n'oublie pas un truc, là ?
Et la pédagogie ?
Vous savez, ce truc bizarre et abscons qui consiste à réfléchir aux moyens de transmettre des connaissances…
Cette pensée qui se situe en amont du cours, en amont de la classe, et bien entendu en amont de la technologie ?
On parle d'échec, mais d'échec de quoi ? De qui ?
- Les contrats ont été mal rédigés.
- Les contrats ont été mal lus.
- Les tablettes ont coûté plus cher que prévu.
- Les frais annexes ont été oubliés.
- Les réseaux wifi ont été oubliés.
- Les élèves sont moins bêtes que prévu et ils ont contourné les blocages.
Oui, et alors ?
- Tous ces soucis étaient prévisibles.
- La quantité distribuée d'un coup est délirante et probablement inutile.
- Il n'y a eu (semble-t-il) aucune phase de test.
Et surtout…
On a pensé “matériel” et pas “pédagogie”.
On peut faire de la pédagogie avec trois cailloux et un brin d'herbe.
On peut entrer dans le numérique avec un ordi, une tablette, mais encore faut-il savoir pourquoi et comment y entrer…
Nous avons avec cette histoire américaine le parfait exemple du piège dans lequel nous ne devons pas tomber.
Il faudrait peut-être penser “pédagogie” et “contenu” avant de penser “matériel”, et il faudrait peut-être penser “formation” et “communication” pour pouvoir avoir une chance de faire une pédagogie efficace.
Ce qui est d'ailleurs peut-être le cas à Los Angeles, mais personne n'en parle. Dommage.
Post-scriptum
La tablette est l'ordinateur de demain, et déjà, aujourd'hui, elle le remplace EN MIEUX pour bien des usages.
Il n'y a AUCUNE raison valable au refus d'introduire des tablettes en classe, à condition que cette introduction soit pensée et maîtrisée, et c'est d'ailleurs exactement la même chose pour les ordinateurs, PC, Mac, Linux, peu importe.
Visionnez cette vidéo et entrevoyez les possibilités…
Précision : le produit présenté ici est français.
Complètement d’accord avec toi.
Il manquait aussi également la formation des profs. Ceux ci s’attendaient à utiliser l’iPad comme une liseuse.
Attention par contre à Apika. Cette app est ultra verrouillée. C’est pas vraiment la conception que j’ai de l’usage de la tablette. Néanmoins elle aurait pu sauver la mise aux américains dans un premier temps.
Bel article comme toujours !
Hello François, content de te voir ici 🙂
(Je te recontacte bientôt pour notre petit projet commun, je suis comme toi, actuellement : débordé)
Eh oui, la formation est la première étape, comme je le dis en fin d’article.
Ceci dit, pour l’instant, on parle beaucoup d’un fiasco, mais au niveau de la pédagogie, de ce qui est fait en classe et des résultats, on ne donne pas d’informations. Mais c’est bien ça qui nous intéresse 🙂
Concernant Apika, je voulais juste montrer qu’il y a des tonnes de solutions possibles en classe avec une tablette, que ce n’est pas un gadget mais un outil flexible avec de multiples utilisations possibles, mêmes de type “pro” (ce qui n’est pas forcément synonyme d’efficacité, on est bien d’accord).
Vous tous qui lisez ces lignes, foncez sur le blog de François, vous ne serez pas déçus 😉
http://www.sicestpasmalheureux.com
Bonjour,
il est vrai qu’il ne faut pas s’imaginer que la tablette est un outil clé en main. Il faut réfléchir à l’usage qu’il sera possible d’en faire dans chaque classe. C’est comme tous les autres supports dont nous disposons numériques ou pas. En effet, un cahier ne fait rien à lui seul, c’est la façon dont on s’en sert qui lui donne tout son sens…..
Je rejoins complétement kissou972 : avoir du matériel c’est une chose; être certain de l’utiliser et savoir le faire en est une autre.
C’est le problème lorsque les décisions d’achats sont faites par ceux qui tiennent les cordons de la bourse, et que les demandes ne viennent pas des utilisateurs eux même…
Il y a une dizaine d’année dans mon ancienne circonscription les mairies ont installé des PC et acheté de nombreux logiciels car ils avaient un budget pour. Je me souviens d’une réunion surréaliste au cours de laquelle nous avions des catalogues, un budget, et chaque école listait un nombre hallucinant de logiciels à partir d’un simple visuel de la jaquette… Il y avait le budget, il FALLAIT acheter… Bien entendu dans de nombreuses écoles les postes prennent la poussière et certains logiciels sont encore sous blister…